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13 janvier 2018 6 13 /01 /janvier /2018 18:00

Si vous n'avez pas vu le film, tant pis: je ne prendrai aucune précaution pour cacher quoi que ce soit du devenir des personnages dans les nombreuses intrigues et sous-intrigues qui forment le tissu narratif de ce film (Le contraire serait impossible), qui devait au départ n'être que le point de départ d'une série, d'où la multitude de pistes...

Un metteur en scène de cinéma prépare une grosse production, mais s'agace de voir des Italiens louches s'intéresser au projet au point de vouloir lui imposer une actrice, à la Don Corleone. Il doit en plus faire face à une malchance supplémentaire: en rentrant chez lui, il retrouve sa femme au lit avec l'agent d'entretien de la piscine, qui le fout dehors... Il va lui falloir se résoudre à obéir à l'injonction du parrain de la mafia. ...Ce dernier lui fait parvenir ses instructions par un cowboy.

Une jeune femme en robe du soir qui est amenée en voiture par deux gorilles en pleine nuit à Mulholland Drive, se fait menacer par une arme, puis profite du fait que la voiture subit un accident, pour s'enfuir. Mais elle a été commotionnée. 

Un tueur reçoit la mission de nettoyer la piste qu'ont laissée les hommes qui ont essayé de supprimer une jeune actrice. Celle-ci s'est enfuie, et il lui faut la retrouver et la supprimer.

Une jeune actrice, Betty Elms, débarque du Canada pour vivre chez sa tante, qui habite une petite co-propriété très comme il faut à Hollywood. Betty a une audition de prévue, et entend bien réaliser le rôle de sa vie. Elle va réussir son audition, mais on lui fait miroiter la possibilité de travailler avec un metteur en scène très en vue.

La rencontre, pourtant, n'aura pas lieu, car elle a un problème domestique: en arrivant chez sa tante, elle y a trouvé une jeune femme inconnue, et amnésique, qui ne sait plus très bien pourquoi elle s'est réfugiée là... Betty prend celle qui a pris le surnom de Rita sous son aile et cherche avec elle à percer le secret de son identité... 

Diane Selwyn, une jeune actrice ratée, a subi humiliation sur humiliation à cause de sa petite amie Camilla Rhodes, qui vient de lui faire comprendre qu'elle la lâchait au profit de son metteur en scène, un jeune prodige qui vient de divorcer (son épouse lui ayant préféré un agent d'entretien de piscines, elle a gardé l'agent, et il a gardé la piscine), et qui vient de lui proposer non seulement un rôle en or, mais aussi le mariage. Betty décide de faire supprimer Camilla.

C'est encore un paradoxe dû à David Lynch, qui a ici non seulement imaginé beaucoup de pistes à suivre, plus ou moins connectées entre elles, mais en plus a aussi tout fait pour qu'aucune continuité ne puisse imposer sa logique aux autres. Plus: certaines de ces histoires sont en contradiction les unes avec les autres. Un exemple? Betty et Diane sont une seule et même personne.

Et pourtant, le film est extrêmement cohérent, donnant à voir essentiellement une histoire: on peut sans trop de problème voir Betty/Diane comme l'héroïne, mais sa situation est différente: Betty est la jeune femme qui arrive au pays des merveilles, et Diane est la femme qui a tout perdu, et qui en plus s'est probablement perdue entre son amour sans lendemain, et la drogue. Ainsi les deux histoires de l'une et de l'autre, qui accumulent tant de contradictions et d'incohérences quand on les confronte, deviennent-elles la version rose et la version noire. Peut-être, après tout, l'une est-elle le rêve de l'autre. C'est la piste sémantique la plus souvent retenue par les commentateurs du film.

Lynch, pour une fois, nous a mâché le travail: parmi les premières séquences du film, on verra bien sûr une série de plans qui montrent, en caméra subjective, quelqu'un se coucher... 100 minutes plus tard, un personnage lui dira d'ailleurs de se réveiller. Il y a d'autres hypothèses, aussi. Après tout dans les deux "intrigues", les jeunes femmes sont actrices, et l'autre histoire peut tout à fait servir d'illustration de leur métier. Sinon, bien sûr, l'histoire de Betty est le rêve Américain, et celle de Diane est d'un réalisme et d'une ironie particulièrement brutales... 

C'est, pour moi, le film le plus accompli de son auteur, le plus riche, et sans doute aussi celui qui laisse le mieux entrer le spectateur... Avec Twin Peaks, ce qui n'est pas un hasard: les deux sont liés par leur identité liée à la notion de série, et réussissent donc à créer un univers cohérent à partir de personnages, d'anecdotes, et d'intrigues différentes les unes des autres, qui nous accueillent, nous intriguent, et nous accrochent. C'est une belle prouesse que de l'avoir accompli en 2 heures et vingt-sept minutes. Et Lynch a particulièrement eu de la chance, avec Naomi Watts, de tomber sur une actrice qui transcende complètement le type de personnages qui hante habituellement ses films. Entre le côté girl-scout solaire de Betty et le désespoir terrifiant de Diane, l'actrice trouve une palette d'émotions, qui sont d'autant plus impressionnantes que le metteur en scène l'a constamment poussée vers l'excès (comme Laura Dern dans l'affreux Wild at heart, de sinistre mémoire, ou Isabella Rossellini dans Blue Velvet). Le "couple" qu'elle forme avec Laura Elena Harring est aussi très fédérateur, et le renversement des rôles entre elles, passe comme une lettre à la poste.

La mise en scène choisie par Lynch est sa narration habituelle, faite de classicisme démonstratif, mais le montage est ici plus serré que d'habitude, tout comme le rythme est plus rapide. C'est qu'on est en plein milieu du cinéma, aussi: Lynch nous entraîne dans une histoire de jeu, de théâtre, de faux-semblants, dans le royaume des illusions. Il connaît parfaitement le terrain, d'autant que de son propre aveu, il habite à deux encablures de Mullholland Drive. Du coup, son film se situe dans la droite continuité de Sunset Boulevard (Dont la narration, ne l'oublions pas est assurée par un mort...). Mais pas seulement.

Il y a, dans l'intrigue "pulp" de la rencontre amoureuse entre la jolie et efficace Betty et la pulpeuse "demoiselle en détresse" qu'est l'énigmatique Rita, des réminiscences de Vertigo: l'impossible enquête, les tailleurs gris de Betty la blonde, le déguisement comme échappatoire et le parfum omniprésent mais indicible de mort, sans doute...

Ca fait, quand même, un beau pedigree, non?

 

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Published by François Massarelli - dans David Lynch Criterion