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7 février 2018 3 07 /02 /février /2018 17:00

Une petite ville qu'on n'aura aucun mal à situer quelque part dans l'ouest des Etats-Unis, Lumberton, semble vivre en toute quiétude les derniers jours d'un été tranquille... Sauf que le jeune Jeffrey Beaumont (Kyle McLachlan), un étudiant très bien sous tous rapports, ramasse en partant de l'hôpital où il a visité son père très malade une oreille humaine, découpée à coups de ciseaux... Il la ramène au poste de police, où l'inspecteur Williams, un brave homme de policier, décide de mener l'enquête.

Obsédé par sa découverte, et fasciné par l'idée que ça puisse mener à du frisson inattendu, Jeffrey revient visiter l'inspecteur afin d'en savoir plus. Le policier lui fait comprendre qu'il ne peut rien partager des données de l'enquête avec lui, mais Jeffrey va trouver en Sandy (Laura Dern), la fille du policier, un atout: elle va relancer son intérêt pour l'histoire en partageant des faits avec lui, qu'elle a glané au hasard des conversations de son père qu'elle a entendues. En particulier, elle attire l'attention du jeune homme sur la mystérieuse Dorothy Vallens, chanteuse nocturne (Isabella Rossellini), sur laquelle Jeffrey va apprendre en effet beaucoup, et aller même plus loin.

Blue Velvet a tout du film noir à l'ancienne, depuis le cheminement nocturne et la notion insistante de subjectivité du point de vue, jusqu'au sordide et au baroque des situations qui se déroulent sous nos yeux... ramasser une oreille permet à Jeffrey d'épier une femme qui se déshabille, puis tomber dans ses bras, avant de la voir se faire quasiment violer par un déséquilibré. Et le très propre sur lui Kyle McLachlan de jouer l'innocence perturbée d'un jeune adulte qui ne parvient pas à choisir entre la débauche incarnée par la belle Isabella Rossellini, et la curiosité sage et enfantine de Laura Dern, qui pousse son incarnation de lycéenne jusqu'aux chaussures d'un blanc virginal, et la coiffure choucroute qui nous rappelle qu'on est en 1986.

Notons d'ailleurs un détail intéressant à nous qui avons vu Twin Peaks dont le tournage a été effectué quatre à cinq années plus tard: quand elle ne passe pas des soirées en chastes enquêtes avec Jeffrey, Sandy a un petit ami qui fait du football Américain, est blond, et s'appelle Mike. Mais de son côté, Dorothy a un autre visiteur nocturne, Frank Booth (Dennis Hopper, en roue totalement libre!), un type fou furieux, très dangereux, qui contrôle tellement mal ses émotions qu'il en a des difficultés respiratoires.

Et c'est là qu'on a un rapport intéressant qui s'établit avec la propre vie de Jeffrey. Car j'ai dit que son père était très malade: il a manifestement une maladie des poumons, donc il y a un parallèle troublant avec le personnage de Frank. Surtout que le très méchant personnage perd tout contrôle devant l'anatomie de Dorothy, avec laquelle il joue à la fois le père ("Daddy wants to fuck!") et le fils, voire le bébé ("Baby wants to fuck!"... Oui, Hopper a un vocabulaire assez clairement orienté dans le film). Il y a un complexe d'Oedipe très affirmé chez Jeffrey! Et par ailleurs le personnage de Frank, selon Jeffrey qui a élaboré cette théorie en ramassant tous les indices à sa disposition, exerce un contrôle de domination sexuelle violente sur Dorothy qui le laisse faire car Frank aurait kidnappé son mari et son fils. L'oreille, selon Jeffrey, est certainement celle du mari... 

Mais je pense surtout que cette oreille est le symbole même du passage de la vérité banale et affligeante de médiocrité satisfaite de cette petite banlieue (Qui nous est présentée au début, avec les sourires compassés de rigueur, dans une introduction dont il est difficile de ne pas déceler le caractère profondément ironique) à l'horreur baroque. Jeffrey Beaumont, dont McLachlan incarne à merveille le mélange de respectabilité et de mystère, est un de ces personnages doubles (voire triples) qui peuplent les films de Lynch, qui sont autant d'entre-deux, de mondes situés entre l'enfer et le paradis, ou entre la réalité et le rêve, lequel est toujours plus beau bien sûr. Jeffrey et Sandy, vivent quant à eux dans un rêve et la rencontre avec Dorothy est leur première expérience d'un risque concret de danger. Ce qui n'empêchera pas Sandy, confrontée à la réalité embarrassante des rapports de Jeffrey avec Dorothy... de le pardonner en un clin d'oeil.

Sauf que Lynch choisit de privilégier un happy-end, mais tellement faux qu'une fois de plus il faudrait être cinglé pour ne pas le prendre comme étant ironique: tout est beau, le bien a triomphé, le père de Jeffrey est tiré d'affaire et les tourtereaux s'apprêtent à consommer un repas bien mérité avec leurs parents réunis. Un oiseau qui les regarde de l'extérieur attire l'admiration de tous, mais au milieu des éclats de rire satisfaits de tous ces gens, on peut quand même constater que le prédateur a une proie dans son bec: un scarabée encore vivant, qui gigote mais qui doit bien savoir qu'il est cuit. D'une certaine façon, la scène peut très bien être vue de son point de vue à lui, auquel cas la notion de happy-end ne tient pas debout. D'autant que la séquence finale commence par un lent mouvement de caméra en arrière, qui s'éloigne du visage tranquille de Jeffrey. Le plan s'ouvre, bien entendu...

...Sur son oreille. Cette oreille, du reste, ne nous rappelle-t-elle pas un autre genre d'animal? Un peu plus chien, un peu plus andalou?

 

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Published by François Massarelli - dans David Lynch Noir