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26 février 2018 1 26 /02 /février /2018 11:32

Comment rendre compte de ce film sans tomber dans les poncifs? Il est tellement fêté, tellement officiel, tellement officiellement génial, et on sent venir les clichés: les acteurs de génie, la beauté d'Arletty, le jeu de Barrault; l'ombre de la guerre et de la résistance, ou pourquoi pas l'anecdote inévitable du départ de ce salaud de Le Vigan... 

Objectivement donc, le plus impressionnant des films de Carné, et son plus beau, naît un peu du succès des Visiteurs du soir. Je ne le comprends pas, étant donné que ce film de 1942 me donne des boutons, et est sans doute l'une des plus ineptes productions qu'il m'ait été donné de voir (A égalité avec l'inénarrable La belle et la bête, de... René Clément). Seulement voilà, Carné, Prévert et Arletty ont eu un succès non négligeable, et ça autorise le cinéaste, l'un des rares à être resté plus ou moins indépendant, à se lancer dans une production énorme, qui deviendra un film de trois heures en cours de route, d'une part parce qu'il devenait impossible de couper quoi que ce soit, mais aussi et surtout parce que le dialoguiste comme le metteur en scène se sont totalement pris au jeu...

Et c'est ainsi que naît cette évocation d'un Paris disparu mais éternel, au coeur d'une intrigue qui joue en permanence sur les contraires: le théâtre "noble", et la pantomime populaire; la comédie, la tragédie; la noblesse, le bas peuple; le parterre, le "paradis" (l'endroit le plus accessible financièrement au théâtre des Funambules, donc celui d'où les classes populaires viennent assister aux spectacles de pantomime...); la femme qui aime tout le monde, et celle qui n'aime qu'un seul homme, et veille jalousement sur lui. Et même si on peut regretter que le film soit souvent l'occasion pour le metteur en scène de laisser la parole à son dialoguiste (un pêché mignon des réalisateurs français, que voulez-vous), qui certes a souvent du génie, la beauté du film, la solidité de la charpente, et l'émotion qui se dégage du tout laissent quand même sérieusement admiratif.

Donc, oui, il y a des numéros d'acteur, mais il y a aussi une denrée rare: dans tant de films français (L'Herbier, Gance étaient des spécialistes) ou Européens, on vous assène que tel artiste a du génie. Et quand on vous dit ça, la moindre chose serait d'essayer de le prouver, ou tout au moins de trouver un moyen d'y faire croire: après tut, les scènes d'All about eve de Mankiewicz qui sont consacrées à la vie de Bette Davis dans les coulisses, tendent à nous persuader grâce au fourmillement des admirateurs, de la cour, et aux anecdotes. Mais que penser d'un film qui vous parle du génie d'une oeuvre d'art et vous coince le génie en question en travers de la gorge (un des défauts de Trois couleurs: bleu, de Kieslovski)? 

Pas Les enfants du Paradis: avec Brasseur et Barrault, Carné et Prévert remontent directement le temps, et nous montrent un art théâtral ancien certes, mais dont on n'a pas le moindre mal à se convaincre qu'il est génial. Barrault surtout, dans le rôle de Jean-Gaspard Deburau, dit Baptiste... Ces deux-là nous sauvent de numéros d'acteurs certes fonctionnels, mais franchement douteux, Marcel Herrand en tête: il interprète avec un accent "qualité France" insupportable un personnage historique lui aussi, d'une importance capitale, le bandit pierre-François Lacenaire. Une idée de génie, du reste, d'avoir fait se croiser tant de personnages (Lemaître, Lacenaire, Baptiste...) qui ont tous vraiment vécu à l'époque. Mais je suis désolé, la prestation d'Herrand nous rappelle surtout à quel point en France, on aime les acteurs qui jouent comme des savates. Celle de Louis Salou ne vaut du reste guère mieux...

Mais au moins, en remontant jusqu'aux racines du théâtre moderne, et jusqu'au succès de la pantomime, Carné et Prévert se sont lancés dans une évocation magique du théâtre, donc de l'art (et un peu du cinéma aussi), qui n'est rien d'autre que la vie.

 

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Published by François Massarelli - dans Marcel Carné Criterion