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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 13:05

Avec ce film, l'une des ses premières oeuvres maîtresses, Lois Weber s'éloigne de la convention mélodramatique, fut-elle évangélique, polémique et militante (Hypocrites), et des grosses machines obligées et convenues (une adaptation du Marchand de Venise, qui est par ailleurs au rang des films perdus de la réalisatrice), pour donner à voir une exploration de l'étude de moeurs sociales, doublée d'une réflexion féministe, à travers le point de vue d'une jeune femme interprétée avec brio par la comédienne Mary McLaren.

Celle-ci est donc une jeune vendeuse dans un magasin, pour laquelle les fins de mois sont difficiles: elle est la seule à travailler à la maison, puisque son père doit se faire prier pour sortir; la mère essaie bien de faire des économies, mais rien n'y fait, et les deux jeunes soeurs sont des fripouilles, pas encore en âge de penser à être économes. Celle sur laquelle cette situation de relative misère pèse le plus est l'héroïne, dont les chaussures, comme une sorte de signe extérieur de sa détresse, sont tellement élimées qu'il est évident qu'une nouvelle paire s'impose.

Mais ça coûte cher. Très cher...

Exit le symbolisme un peu lourdingue de Hypocrites, place à l'observation sociale. Weber place Mary McLaren au milieu de la vie, et tourne avec une grande efficacité son film dans des décors quotidiens et convaincants. Elle évite les pièges didactiques: ni militantisme social misérabiliste, ni leçon forcée et conservatrice. Si le père nous apparaît un peu comme le "méchant" dans l'intrigue, c'est parce que du point de vue de la jeune femme c'est son immobilisme qui est la principale source de maux. mais il n'est pas diabolisé pour autant. De même que la figure du gandin aperçu dans quelques scènes, qui sera l'ultime recours à la fin du film: un bellâtre qui a bien l'intention de séduire la jeune femme et grâce auquel elle pourra enfin se payer une paire de chaussures neuves. Et la vie pourra continuer...

Mais en attendant, Lois Weber peaufine son style fait d'une grande clarté narrative, jamais trop dépendante du texte, toujours des acteurs et du cadre. Elle se repose beaucoup sur le visage de Mary McLaren, qu'elle nous montre dans un miroir brisé dans une image célèbre de la publicité pour ce film: la jeune femme vient de prendre sa décision, qui est de se laisser séduire, de littéralement vendre son corps pour des chaussures, comme nous a prévenu un intertitre en exergue du film. Et dans le miroir qui la coupe en deux, son regard est arrivé au delà du désespoir. Lois Weber, par sa science du point de vue, son refus de la simplicité, son envie d'explorer avec génie les petits moments apparemment si insignifiants, mais si significatifs, renouvelait le mélodrame et le drame social, et Shoes est un chef d'oeuvre qui en annonce d'autres, The blot pour commencer, qui ira encore plus loin...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Lois Weber 1916 **