
Dans l'histoire du cinéma muet Allemand, on trouve finalement de tout: des films fantastiques, naturalistes, sociaux, des drames, des comédies, des documentaires, des "kulturfilmen" (dédiés à la Körperkultur, soit le culte du corps, du sport et de la bonne santé... épargnez-moi ces mines réjouies, les protagonistes ont tous fini par adhérer au nazisme), et... les films de montagne du bon Docteur Arnold Fanck. Celui-ci a commencé à tourner des longs métrages, des drames situés en montagne, à partir de 1920, et on considère généralement ce film de 1926 comme étant le plus important ou en tout cas le plus significatif. La formule en était quasi immuable: l'intrigue était située en bordure de la montagne et se chargeait de faire le tri entre les hommes (et les femmes), les vrais, qui affrontaient à grand renfort de muscles et d'exploits (pour lesquels les acteurs souffraient) les conditions extrêmes de la montagne, accompagnés de leur metteur en scène et d'une équipe réduite, et rompue à l'exercice. La raison de la cote d'amour pour celui-ci, j'imagine, est liée à la présence de Leni Riefenstahl, future égérie du cinéma nazi, et actrice et danseuse certes parfaitement capable. Sur laquelle je ne vais pas en faire des tartines: le talent n'excuse rien.
Dans les alpes, une station balnéaire accueille une danseuse, la belle Diotima (Riefenstahl). Elle rencontre deux amis, l'ingénieur Karl (Luis Trenker) et le jeune moniteur de ski Vigo (Ernst Petersen). Les deux hommes, qui ont forgé une amitié solide en parcourant la montagne, tombent amoureux de la même femme...
Le film alterne d'une part les scènes du drame conventionnel, rehaussé d'un peu de lyrisme d'avant-garde avec les récitals de Diotima (Fanck filme Riefenstahl en ralenti, et la replace devant des surimpressions de la nature), et d'autre part, les scènes situées dans la montagne: acsension, compétition de ski. Fanck s'autorise aussi de nombreux passages allégoriques, dont une superbe vision de Karl, alors que sa vie l'abandonne: le jeune ingénieur romantique se voit arrivé en compagnie de la femme qu'il aime dans un palais de glace... c'est en cela que La montagne sacrée se distingue vraiment des autres productions de Fanck: il y a cherché une poésie qui dépassait le cadre de la montagne. De même, au début et à la fin, une vision de sommets mythiques, en surimpression dans le ciel, renvoie à la peinture de Böcklin. C'est frappant, mais le film reste quand même les pieds sur terre et le piolet dans la glace: si vous n'aimez pas la montagne, ni les surhommes qui l'affrontent... passez votre chemin.

