On peut sans doute parler d'un film maudit... Car cette production Paramount de 1921 n'est pas sortie aux Etats-unis avant...1981. Si vous ne savez pas pourquoi, j'en parle plus loin , mais je vous préviens: c'est triste, injuste et révoltant.
Pas le film, en revanche, qui n'est certainement pas le meilleur film de 1921, mais qui a au moins le mérite d'adapter avec intelligence une farce boulevardière à l'économie, mais sans lésiner sur la rigolade. Ce qui n'est pas étonnant, puisque le personnage principal en est interprété par celui qui s'est autoproclamé "Prince of Whales", le comédien et cinéaste Roscoe Arbuckle, qui après avoir fait le bonheur du public depuis le début des années 10 avec des courts métrages d'une, deux, ou trois bobines poilants et à l'humour foncièrement décalé, accédait enfin au droit de sortir des longs métrages. Il était le premier des acteurs comiques à interpréter des comédies de longue haleine exclusivement, depuis 1920. Et il en avait un peu payé le prix, en renonçant à son style volontiers absurde et surréaliste. Ce qui ne l'empêchait pas d'insuffler aux comédies de moeurs qu'on lui confiait, un esprit frondeur de comédie physique. C'est exactement ce qui fait le sel de cette adaptation, qui sans lui aurait probablement été inintéressante...
Stanley Piper (Roscoe Arbuckle), héritier de la fortune de son oncle Jeremiah, un authentique misogyne, est quant à lui un admirateur complexé de la beauté féminine. Complexé, car il est bègue d'une part, et d'autre part il est irrésistible. Lors d'un séjour à la mer, il tombe toutes les femmes sans le vouloir, et est sérieusement embêté de devoir gérer quatre fiancées auxquelles il est impossible d'expliquer qu'elles ont tort... Surtout que la femme qu'il aime (Mary Thurman) débarque à l'improviste.
Sans Roscoe, qui assume pleinement d'être un véritable aimant à jeunes femmes dans le film, on n'aurait eu ici qu'une série de scènes de portes qui claquent, et quelques intertitres amusants. Mais Arbuckle sait fort bien faire monter la température en interprétant physiquement une scène, et en s'y investissant avec génie. Bref, ce film s'il était sorti ailleurs qu'en Finlande (en 1924...) aurait sans doute obtenu un succès mérité, et rappelé après The round-up, le western controversé de George Melford qui manquait paraît-il cruellement de gags, que Roscoe Arbuckle était un comique, et l'un des plus grands.
Sauf qu'avant la sortie du film, le premier mai 1921, l'actrice Virginia Rappe décédait lors d'une soirée arrosée, organisée par Arbuckle. le comédien, accusé, arrêté, acquitté du meurtre, blanchi par la justice qui a établi la preuve de son innocence totale, était désormais un paria, marqué du sceau de l'infamie pour le simple fait d'avoir été potentiellement le coupable. Interdit de travailler à Hollywood sous son vrai nom, déchu, bref: à plus ou moins court terme, foutu. Pour la Paramount, sortir le film Leap year était plus qu'un risque: c'était une impossibilité.