
Le chaud, le froid? Le metteur en scène, dans sa carrière même, passe depuis longtemps d'un extrême à l'autre. Et dans ses films aussi, ce dernier long métrage (le septième) en est un exemple particulièrement clair... Féru de jeux de point de vue, de films-labyrinthes aussi, Aronofsky a choisi depuis toujours de tout mélanger, de passer d'un genre à l'autre (ses deux précédents films, par exemple, sont Black Swan et Noah...), et de ne jamais se cantonner dans le rationnel. A son meilleur, ça donne l'exceptionnelle réussite de Black Swan, plongée magistrale dans la perception d'une jeune ballerine qui perd pied avec la réalité au moment où son rêve de devenir la star de la compagnie se réalise; mais ça peut aussi donner l'étrange The Fountain, dans lequel le metteur en scène semble régler ses comptes, ou en tout cas faire en public le deuil de sa relation avec Rachel Weisz, et on s'y perd...
C'est pourtant à ce dernier film (raté) que fait penser Mother!, qui lui est carrément enthousiasmant... On y retrouve les caractéristiques de son art, et son désir d'explorer une subjectivité sous un angle inattendu, comme il le faisait pour trois personnages dans Requiem for a dream. La forme, ici, est celle d'un rêve, qui tournerait volontiers au cauchemar: une jeune femme (jamais nommée, interprétée par Jennifer Lawrence qui est excellente) se réveille au milieu d'une maison circulaire, dans un cadre idyllique. Son mari (Javier Bardem) est là aussi, et le couple nous donne instantanément l'image d'un bonheur intense. Sauf que nous avons vu, en ouverture, des images étranges et perturbantes: une maison brûlée qui renaît littéralement de ses cendres, et surtout une jeune femme dans les flammes, puis l'homme qui place un objet (diamant? en tout cas une énorme concrétion) sur un support.
Mais le bonheur sus-mentionné ne durera pas, car durant tout le film, le point de vue qui sera celui de la jeune femme, relayé par une caméra au plus près des corps et de l'action, passera des joies, de l'effervescence même, à des craintes, de l'inquiétude, et même d'immenses frustrations. Et l'homme passe son temps à ne pas vraiment s'occuper de son épouse, la laissant souvent seule pour effectuer des réparations dans la maison, car celle-ci ne va pas bien:
la preuve, elle saigne.
Au début, c'est un homme (Ed Harris) qui vient quasiment s'installer chez eux, avec la bénédiction de l'homme de la maison (sans consulter son épouse, ce qui la blesse cruellement). puis l'épouse (Michelle Pfeiffer) de l'intrus, puis les enfants du couple, puis des dizaines, des centaines même d'inconnus, viennent s'installer. Et les changements intimes (la jeune femme est enceinte, et la date de l'accouchement est proche) n'y feront rien: l'homme laisse toujours plus de gens s'installer chez eux, tout casser, et toujours manquer plus de respect envers son épouse, car s'ils viennent, c'est pour lui: il est un poète vénéré, et tous viennent pour l'adorer. Très vite, l'intrigue tourne au cauchemar pour celle qui ne comprend pas pourquoi elle devient si vite la victime de la méchanceté de tous...
C'est dur, tant le cauchemar est tangible, justement, et Jennifer Lawrence a une tâche difficile: donner corps à un personnage pour lequel aucun contexte ne sera donné, et dont il faudra appréhender la vie, les craintes et l'existence même sans pour autant comprendre la dimension onirique: celle-ci n'attend guère pour s'installer. Mais contrairement à The fountain, ce film qui joue sur le registre de la terreur réussit son coup parce qu'après tout, il ne manque pas d'humour... Certes, un humour volontiers sadique, mais dans la mesure où ce metteur en scène, donc créateur, lui même marié à sa star, lui demande de jouer le rôle d'une femme vampirisée par son poète (donc créateur) de mari, on se doute qu'une dose salutaire de second degré s'imposait... La clé de ce film réside dans sa fin, sur laquelle je m'abstiendrai évidemment de tout commentaire.

