
Toujours se méfier des chefs d'oeuvre officiels. Ces films dont on a un jour décrété qu'on ne peut pas ne pas les voir, et du même coup qu'on ne peut pas ne pas les aimer.
Taxi Driver est régulièrement cité comme un chef d'oeuvre, un film incontournable, l'une des plus grandes dates du cinéma Américain: il en représente une sorte de paradoxe, aussi: tourné en 1975, il représente un peu l'acte de décès du système des studios, et symbolise une nouvelle époque qui va mettre en valeur les réalisateurs, et qui est déjà en place: William Friedkin, Coppola, Lucas, Malick sont déjà là.
Donc, Robert De Niro incarne Travis Bickle, un chauffeur de taxi qui est un moraliste: il vit à New York seul, consomme et travaille dans la ville, et il souffre d'insomnies permanentes. Il choisit de devenir chauffeur de taxi de nuit, afin d'occuper son temps, et nous parle à travers une voix off prononcée d'une voix morne.
Et Travis Bickle est aussi une éponge, un homme qui capte tout ce qui se dit, se fait dans la ville, et remodèle en permanence ce qu'il dit en fonction de lubies, dont il ne sait pas toujours doser l'effet: quand il sort avec une jeune femme, il l'emmène voir un porno...
Travis Bickle est-il prude, ou est-il gêné par sa propre turpitude? En tout cas il confesse souvent sa propre frustration et son exaspération devant la décadence et la permissivité dont souffre la ville, et la société toute entière, au point d'en avoir de sourdes, sombres idées de violence, difficiles à assouvir et réprimer. Donc Travis achète des armes...
Le reste va couler de source: un sénateur se présente à l'élection présidentielle et Travis sait qu'il peut s'en approcher; un souteneur (Harvey Keitel) a mis dans la rue une ado de douze ans (Jodie Foster) et Travis lui a dit qu'il allait la tirer de là. Alors, tuer un sénateur pour tuer, ou tuer dans tous les sens pour faire le chevalier blanc?
Et d'ailleurs, est-ce si différent?
La très belle musique de Bernard Herrmann devrait être un passeport immédiat, le jeu de De Niro, la narration en voix off, la progression hypnotique... oui, mais voilà: j'ai beau essayer, je reste froid. J'apprécie la tentative, je trouve l'idée intéressante, l'art consommé de l'improvisation de ces acteurs me semble impressionnant, mais... C'est froid, ennuyeux. Souvent vide et embarrassant de silences et d'attente. La fameuse scène souvent citée (par des gens qui ne l'ont sans doute pas vue, car "c'est un vieux film") est assez dispensable, pour ne pas dire franchement inutile...
Un chef d'oeuvre officiel, quoi, le genre qu'on n'a pas le droit de discuter.
Sans moi.