
Excellent film dès le départ, The masquerader est unique dans la mesure ou Chaplin y opère un nombre impressionnant de transformations. Il prend pour commencer le prétexte de montrer la vie du studio Keystone, allant jusqu'à prétendre pendant les premières minutes avoir un caractère documentaire: on y voit, effectivement, Chaplin se préparer pour un film, en costume de ville et sans moustache, puis pendant le maquillage.
Mais la présence dans les vestiaires de Roscoe Arbuckle, et le fait que les comédiens se sentent l'un comme l'autre d'humeur farceuse (Ce qui est bien dans l'esprit de cet éternel gamin d'Arbuckle, mais qui détonne par rapport à la réputation de grand sérieux dont faisait preuve Chaplin dans son travail), et la séance de maquillage dégénère bien vite. Après, un Chaplin enmoustaché se préoccupe tellement peu du film qui se fait qu'il drague sans vergogne les femmes présentes, déconcentre ses partenaires, et empêche Chester Conklin (que le metteur en scène excédé a obligé à remplacer le héros) de faire son travail. Le résultat? Chaplin se fait virer du plateau, et n'aura d'autre ressource pour se faire rengager, que de venir déguisé... en femme.

Mais pas de façon caricaturale: on le sait, quand Chaplin joue un vagabond ou un bourgeois, il EST un vagabond ou un bourgeois. Quand il joue un poulet dans The gold rush, il est un poulet. Et donc, ici, il est une femme, séduisante, élégante, et bien sur il n'a aucun problème à se rendre sur le plateau...
C'est fascinant: non seulement Chaplin a réussi sans aucune gaucherie à faire du studio le décor de son film, non seulement il a réussi à intégrer la comédie et la réalité bien mieux que dans tous les films improvisés sur les événements publics, qui sont le pire du pire de la firme de Sennett, mais il a réussi à mener ce film, à une époque ou les spectateurs ne connaissent pas le nom des vedettes, en assumant trois identités différentes tout en maintenant une parfaite lisibilité.
Un tour de force, aidé par une construction très adroite, et la complicité de toute l'équipe. Maintenant, pour ceux qui espèrent voir Chaplin au travail, ce n'est pas encore ça: en réalité, il détestait qu'on le filme quand il mettait en scène, et ici, il n'est supposé être qu'un acteur... En tout cas, le film ment: on n'aurait jamais viré Chaplin de la Keystone de cette façon, à cette époque. C'était, déjà, le maître.
