
Tito (Lon Chaney) et Simon (Bernard Siegel) sont deux frères, deux clowns itinérants, qui un jour recueillent une enfant perdue, Simonetta. Ils sont jeunes, et Tito, particulièrement sentimental, insiste auprès de son ami bourru... Les années passent, et le duo a de plus en plus de succès. Simonetta devenue une belle jeune femme (Loretta Young), Tito se rend compte que ses sentiments ont changé... Il ne voit donc pas d'un très bon oeil l'idylle naissante entre la jeune femme et le comte Luigi (Nils Ashter), qu'il soupçonne d'être un incorrigible séducteur...
Herbert Brenon était un choix inattendu pour diriger Lon Chaney en 1928; à cette époque, la MGM avait l'habitude de confier les "véhicules" de l'acteur aux metteurs en scène maison, des techniciens compétents qui ne faisaient pas trop d'ombre à la star (William Nigh, George Hill, Jack Conway) ou à Tod Browning, son ami et complice. Le dernier film avec Victor Sjöström était The tower of lies, d'après Selma Lagerlöf, et ça avait été un échec, tout comme l'étrange Mockery tourné par Benjamin Christensen... L'Irlandais, artiste établi et meneur irascible, était un réalisateur fin et ambitieux, et il est à noter que ce long métrage de huit bobines joue dans une catégorie bien différente des films de Chaney de l'époque: c'est un mélodrame, pur et dur, et la résolution en est notable dans la mesure où Chaney échappe à toute tentation du mal...
Les clowns ont inspiré à Chaney un personnage inoubliable, celui de He who gets slapped. Ici, il incarne un vieil artiste, bien sûr amoureux de la jeune femme qu'il a élevé. Pour Lon Chaney, c'est un rôle en or, qui lui permet de montrer toute la gamme de ses talents, dans les registres les plus sentimentaux: le père, l'amoureux transi, l'artiste frustré, et surtout, l'homme vieillissant: à cette époque (en témoignent des films comme Mr Wu, Tell it to the marines, ou les fragments de Thunder, voire le médiocre Where east is east), Chaney s'intéressait particulièrement au vieillissement de l'homme. C'est poignant, quand on pense qu'il n'avait que 45 ans durant le tournage de ce film, et qu'il n'avait plus que deux années au compteur... Et comme de juste, il va aller au bout de son interprétation, en utilisant le costume d'artiste qui pour lui fonctionnait le mieux pour installer son univers de contrastes intimes...
Loretta Young est merveilleuse, et on a du mal à croire, non seulement qu'elle n'avait que 14 ans, mais aussi qu'il s'agit de son premier film... L'histoire a retenu que l'actrice a beaucoup souffert de la direction de Brenon, qui était je le répète un excellent metteur en scène (Ce film en fait foi, tout comme son Peter Pan de 1924), mais aussi un salopard qui aimait se choisir une victime désignée... Jusqu'à ce que Lon Chaney s'en mêle, protégeant Young comme il l'avait fait pour Mary Philbin contre les injonctions délirantes de Rupert Julian en 1925.
Tout ceci, bien sûr, ne se voit pas dans le film, mais ce qui se voit, c'est la délicatesse avec laquelle Chaney, Young et Brenon ont réussi à rendre cette histoire triste de clown amoureux qui se sacrifie en sachant que son âge le condamne aussi bien pour ses sentiments que pour son métier, et la grandeur de Chaney est doublé d'une mise en scène impressionnante pour son sacrifice, qui est, comme souvent dans l'univers de Lon Chaney, particulièrement ouvragé...


