
Dans les années 40, Preston Tucker (Jeff Bridges) est un inventeur, l'un de ces braves Américains qui se lèvent avec une idée et se couchent avec une nouvelle invention... Un enthousiaste et un chef de clan aussi, puisque dans sa grande maison du Michigan, il héberge un certain nombre de farfelus dévoués à sa cause. Il souhaite créer un véhicule, une voiture (la "Tucker", bien sûr) qui révolutionnera durablement l'industrie avec un certain nombre d'innovations. Il n'a besoin "que"... du soutien de l'industrie automobile... Le naïf. Il se lance pourtant, trouve un partenaire (Martin Landau), un dirigeant, une usine même: il ne lui manque plus qu'une voiture puisque sa brillante invention n'est pour l'instant que virtuelle...
C'est à un désastre magnifique que nous confie Coppola, qui a un lien personnel fort avec cette histoire, puisque, comme il nous le raconte dans son film, Tucker avait utilisé de façon fort efficace (trop efficace même) la publicité, et des catalogues présentant les mérites de la voiture qui n'existait pas encore, avaient créé pour l'invention un engouement particulièrement fort, et Carmine Coppola était très attiré par le modèle. On voit assez vite que ce qui a attiré le metteur en scène dans cette histoire authentique, c'est la possibilité d"y jouer à être Frank Capra, tout en le faisant avec son style à lui, si caractéristique. Je veux parler de ces dispositifs de mise en scène apparus avec One from the heart: des scènes durant lesquelles il transforme les murs rées du studio en des transitions, passant d'une pièce à l'autre comme on franchit des kilomètres. Des plans qui commencent à un endroit pour finir à un autre. Toute une mise en scène à la fois naïve, maniérée et qui donne parfois le vertige, mais qui nous assure que Coppola s'identifie à cet ingénieur auto-proclamé qui joue avec le gros business en famille. Bref, Coppola se rappelle sans doute le lancement de son propre studio familial, et le désastre financier qui en résulta...
Et en Jeff Bridges, l'éternel optimiste qui se bat contre des moulins à vent, il a trouvé son James Stewart à lui, le sourire, le volontariat, les mots qui ont parfois du mal à sortir de son esprit sans être quelque peu malmenés. C'est un personnage touchant et toujours positif, qui permet au film de loucher vers la comédie en permanence (comme le personnage du mécano-bougon-à-qui-on-ne-la-fait-pas, qui râle tout le temps mais qui fait le boulot, joué par le désormais vieux complice Frederic Forrest. Coppola triche aussi parfois avec la matière cinématographique, accélérant le jeu (c'est volontairement visible) en post-synchronisant le son.
C'est curieux, parfois enthousiasmant, parfois déroutant, pas complètement abouti, et la musique de Joe Jackson, mélange de jazz avec de gros bout de swing des années 40 dedans, et de musique pour percussions, ajoute un peu à la confusion. Mais on garde quand même de Preston Tucker, de son épouse (Joan Allen) et de toute leur famille étrange, un bon souvenir...

