
Nous assistons dans ce film à une série d'anecdotes concernant une famille modeste, les Froment, qui entre 1871 et 1940, tentent de s'élever socialement, mais en sont souvent empêchés d'une part par leur caractère, mais aussi et surtout par les circonstances: le siège de Paris durant le rude hiver de 1871, puis l'arrivée des Prussiens dans la capitale; la première guerre mondiale, supposée mettre fin à tous les conflits; la montée des nationalismes puis des états fascistes, et enfin la guerre à venir, sur laquelle le film se conclut.
Quelle drôle de destinée que celle de ce film unique en son genre! unique car s'il y a bien eu des films à sketchs dans le cinéma français (Duvivier lui-même y avait sacrifié en 1939 avec Carnet de bal), peu ont cherché à la fois une telle cohésion, et aussi une telle hauteur. Du moins à l'époque de sa confection, car quand le film a été enfin vu, après la libération, la donne avait changé. Un destin cruel pour un film qui était une commande à Duvivier, celle d'un film patriotique propre à ressouder les esprits derrière l'imminence d'un danger. Mais le metteur en scène éternel pessimiste, s'était laissé aller à peindre les Froment en éternels vaincus, aussi, ce qui lui sera reproché en 1945: le patriarche, Pierre (Jouvet), part se batre contre les Prussiens en sachant bien qu'il n'en réchappera pas, puis son fils aîné Félix (Jouvet encore) partira de son côté au Sénégal, ou il sera victime de toutes les maladies possibles et de leur cortège de folie; la fille de Pierre, Estelle (Suzy Prim), sacrifiera sa jeunesse pour s'occuper de ses frères, et passera sa vie entière de vieille fille à le regretter en silence. Le frère de Pierre, Jules (Raimu) croira vivre la belle vie en ne se mariant pas et en se laissant aller à toutes les tentations, et à toutes les spéculations: il y laissera plus d'une chance de vivre décemment... Et à chaque génération, les mêmes frustrations apparaîtront, pour finalement laisser place à une ouverture: un descendant (Louis Jourdan) qui sera médecin... mais qui devra probablement lui aussi aller se battre.
Pourtant, derrière le laisser-faire des Froment (et surtout celui de Bernard, le deuxième fils de Pierre interprété par le terne Lucien Nat, sans doute choisi justement pour son manque total de charisme... Sacré Duvivier!), le cinéaste se promène dans 70 années riches en événements, mais dont il se plaît à capter le trivial, le quotidien. Ses personnages, de par leurs échecs, ou leurs (petits) pas en avant, sont attachants sans jamais évacuer totalement une certaine ironie. Le film est inégal, bien sûr, mais il est bien meilleur qu'il a été: durant des années, une version amputée de 25 minutes, expédiée et déséquilibrée, à circulé. Cette renaissance du film n'en règle pas tous les soucis, mais il en ressort un film qui finalement, s'avère passionnant. Et il nous présente l'un des génériques les plus enthousiasmants qui soient.


