
Une fois de plus, Guillermo Del Toro se consacre à ce qu'il fait de mieux: le conte horrifique, avec une forte identité visuelle... C'est même, avec ce film à très grand succès, un retour à l'esthétique du Labyrinthe de Pan. Le script date d'ailleurs de l'époque de sortie du film le plus connu du metteur en scène, mais il a fallu attendre près de neuf années avant que le film ne se fasse...
A la fin du XIXe siècle, dans l'état de New York, Edith Cushing (Mia Wasikowska) a perdu sa maman très tôt, et a en plus attendu assez peu de temps pour constater que les fantômes existent: en effet, sa maman l'a visitée une nuit pour lui donner un avertissement qu'elle n'a pas compris. Des années plus tard, la jeune femme qui vit toujours avec son père (Jim Beaver) écrit des romans, qu'elle espère voir publier un jour, mais qui reçoivent surtout l'indifférence polie des éditeurs: c'est une femme qui les a écrits... Et elle ne semble pas décidée à leur donner grande cohérence: elle y écrit des histoires d'amour, et... des histoires de fantômes.
C'est alors que Thomas Sharpe entre dans sa vie: baronnet sans le sou, il vient aux Etats-Unis avec une idée de machine qu'il souhaite construire afin de faciliter l'excavation d'argile... L'invention est intéressante, mais lorsque Sharpe sollicite l'appui de Carter Cushing, celui-ci refuse: il est évident à ses yeux que le jeune homme est au mieux un farfelu, au pire un fainéant, et M. Cushing n'aime pas les gens qui ne travaillent pas. C'est par la fantasque Edith que Sharpe, qui infiltre avec sa soeur Lucille (Jessica Chastain) la bonne société de Buffalo, va finir par parvenir à ses fins. Mais alors que celle-ci se fait courtiser par Sharpe, son père est assassiné...
Elle se marie, et rentre en Angleterre avec le frère et la soeur: dès leur arrivée dans l'affreuse demeure où ils habitent (et qui s'enfonce dans les boues d'argiles d'un sol décidément peu accueillant), Edith constate que oui, les fantômes existent, trouve la cohabitation avec Lucille difficile, mais surtout, apprend que le surnom de la maison dans la région est "Crimson Peak".
C'est embarrassant: l'avertissement donné par sa mère quinze années auparavant, et répété juste avant l'arrivée de Sharpe dans sa vie, était "ne va pas à Crimson Peak"...
Le scénario du film, dont Del Toro partage le crédit avec Mathew Robbins et Jessica Coxon, place Crimson Peak dans la catégorie du film d'horreur léger. Il ne faut pas s'attendre ici à une métaphore du type de The shape of water, ou au Labyrinthe de Pan... Mais Del Toro, qui aime et connaît le cinéma fantastique sur le bout des doigts, s'est justement plu à se jeter à corps perdu dans l'illustration, détail par détail, d'un conte gothique ultra-simplifié: grande maison, héroïne naïve, secrets de famille, fantômes... la maison en elle même, véritable personnage dans le film, dont Jessica Chastain semble parfois être l'émanation, fait le reste...
Du coup tout passe, dans ce film mis en scène avec une gourmandise toujours aussi visible par l'éternel fabuliste qu'est le metteur en scène Mexicain, par le plaisir: plaisir d'une construction simple, d'une narratrice naïve, de cette naïveté propre aux héroïnes gothiques. Plaisir enfin de de se faire peur, avec des fantômes que le metteur en scène, plasticien accompli avec un oeil pour ces choses-là, nous a concoctés... Reste aussi que le film participe de l'univers du metteur en scène, avec son art de placer les acteurs dans un monde bien à lui dont il réussit à leur faire partager tous les contours, un univers où les cuisines sont vivantes, et où les gens semblent avoir été taillés pour se placer parfaitement dans les couloirs sombres... Un monde qui renvoie aussi bien au cinéma fantastique (TOUS les cinémas fantastiques) qu'à Edgar Allan Poe.


