
Et nous retournons vers la guerre du Pacifique, qui décidément hantait Raoul Walsh, pour un film à l'histoire troublée... Qu'on s'en souvienne, le roman de Norman Mailer avait bouleversé Charles Laughton et son partenaire de The night of the hunter, Paul Gregory: l'idée était de reprendre la même équipe (Laughton, Gregory, Mitchum et le chef-opérateur Stanley Cortez) pour tourner une adaptation "sans concession" du roman... L'insuccès de leur premier long métrage en a décidé autrement... C'est donc une production RKO, distribuée par Warner (le studio RKO en était vraiment à la toute fin, après de rocailleuses années 50), mise en scène par Raoul Walsh, sur un script qui n'est qu'officiellement de Denis et Terry Sanders, les deux auteurs qui avaient été engagés par Paul Gregory. L'image est signée de Joseph LaShelle, en lieu et place de Cortez, et Paul Gregory est bien crédité en tant que producteur... Cerise sur le gâteau, la musique du film est une partition agressive et totalement appropriée de Bernard Herrmann...
On se souvient de Battle Cry dans lequel les Marines devaient accomplir leur devoir, et faire le sale boulot attendu d'eux, tout en rêvant au retour... On se rappelle aussi de Objective Burma, où des soldats coincés en pleine jungle devenaient les prisonniers d'une jungle des moins rassurantes, tombant de piège en piège au gré des embuscades des soldats Japonais qui se confondaient avec la végétation! Ce sont ces deux aspects qui se retrouvent entremêlés dans ce nouveau film, avec une nouvelle dimension de réalisme sordide, et aussi une réflexion amère sur la bêtise humaine face au pouvoir...
Comme dans les deux films précédents, ça passe plus par une galerie de personnages que par l'intrigue, mais Walsh ne refait pas celle de Battle Cry, dont les "types" sympathiques auraient ici été trop empreints de clichés. Et "l'arrière" qui était ce lieu mythique vaguement considéré comme une récompense, ou comme le "repos du guerrier", agit ici plus pour donner une sorte de contexte et de profondeur à certains personnages... Surtout un, en fait: le sergent Croft (Aldo Ray), dur, menteur, tricheur et manipulateur; autant de qualités qui en font pourtant un excellent soldat! Mais il a un secret qui explique en partie sa dureté, un secret sur son intimité qu'il va nous falloir deviner entre les lignes de flash-backs disséminés dans les deux premiers actes. Les autres personnages développés sont au nombre de deux: le général Cummings (Raymond Massey) est tellement auto-satisfait qu'il voir arriver le jeune lieutenant Hearn (Cliff Robertson), un fort-en-gueule mais qui a oublié d'être stupide, comme une opportunité d'affirmer sa supériorité. Il va oublier d'en être un bon commandant en chef... Hearn, de son côté, semble s'être trompé de vocation, comme en témoigne une scène à la fois hilarante et épouvantablement triste qui voit, sans aucun dialogue, Hearn collectionner les conquêtes (parfois jusqu'à trois en même temps).
L'intrigue va en fait consister à ce que toutes les scènes du film contribuent à mettre le lieutenant Hearn en contact avec Croft, pour une mission suicide qui va tourner à l'affrontement sournois entre es deux hommes, au détriment des soldats bien entendu. Et le principal enjeu, pour Walsh, aura sans doute été de flirter avec les audaces du livre, tout en rendant le film acceptable pour le Hollywood de 1958! Donx exit le langage rude, et si le caractère éminemment sexuel des liens qu'entretiennent les soldats avec l'arrière est maintenu dans le film, il a été rendu acceptable, d'une part par des raccourcis mais aussi par des coupes: Walsh disait de ce film qu'on lui avait enlevé les nus et laissé les morts! Mais c'est à porter à son crédit de dire que c'est l'un des films les plus avancés de la période classique en ce domaine...
Au final, avec son cinémascope superbe et ses couleurs qui n'essaient pas d'être trop jolies, mais rendent justice à la réalité des combats et de l'ordinaire des soldats, c'est un grand film de guerre, âpre et brutal, qui réussit à ne pas trahir le message du roman, en faisant de la guerre un spectacle par exemple. Walsh n'a pas commis cette erreur, et a fait comme il l'a toujours fait, que ce soit pour ses films de guerre ou ses westerns: les batailles sont un contexte auquel il faut survivre. Mais cette fois-ci, l'éthique est en concurrence avec l'ambition, la folie du pouvoir et la frustration: les hommes vont en baver...

