
Tourné à la toute fin de sa vie, Balaoo est l'un des plus étranges films de Jasset, dont les films d'aventures et policiers ne manquaient pourtant que rarement d'une dimension baroque, voire inquiétante. Pour commencer, c'est une adaptation de Gaston Leroux, qui n'était pas le plus raisonnable des auteurs! Mais avec cette fable comique d'un genre à part, qui est prise très au sérieux par Jasset et ses interprètes, le réalisateur semble faire tout simplement le portrait d'une humanité aliénée...
Pour commencer, Balaoo le personnage est un singe-homme, plus qu'un homme-singe. Et je vus assure qu'il n'a rien d'un Tarzan! Il serait même beaucoup plus proche du monstre de Frankenstein. Venu en Europe à la demande de M. Coriolis, un vieux savant, il est 'transformé en homme' à la faveur d'un procédé 'connu de lui seul', nous dit un intertitre: Jasset ne s'embarrasse pas d'explications, et a une histoire à raconter, pas un exposé scientifique... Puis il est habillé, nourri (et fait de menus travaux sans noblesse). Mais il obéit à un sale type qui profite de lui, et qui convoite la fille de son bienfaiteur, et là, ça ne va plus... Frustré, il devient un vrai diable, semant la terreur dans tout le pays. Sévèrement grondé, il part semer la terreur en Suisse...
Alors, humain, ou pas humain? C'est intéressant de constater que quand sa «créature» s'enfuit, l'homme qui l'a relégué au rang d'animal cherche à le récupérer, et feuillette les journaux à la recherche d'indices qui seraient plutôt dans la catégorie des faits divers! De son côté, Balaoo est un animal élevé en homme: il vole des œufs dans les poulaillers, mais... les déguste avec du sel! Mais dans la nature, il est un vrai acrobate et se rit du vertige...
Le film est incomplet, seule une bobine a survécu, et il n'est pas sûr qu'on en ait la fin. Abîmée par le séjour dans la glace (on a retrouvé Balaoo à Dawson City), la pellicule n'est pas des plus aisées à regarder, mais d'autres fragments d'une copie Française ont aussi été retrouvés: c'est un film qui a le ton de la comédie dans sa situation et son intrigue, mais dont le jeu des acteurs est résolument fait de tension dramatique. Jasset a demandé à tous ses interprètes le plus grand sérieux, ce qui fait à mon sens le prix de cet étrange film qui dépasse le cadre de la pochade (on imagine le chaos boueux qu'en aurait fait un George Monca ou un Jean Durand...) pour aborder celui de la fable ironique.
