
C'est devenu tellement banal d'entendre que ce film est le sommet de la carrière de Greta Garbo, qu'on se le prend inévitablement en pleine figure! Le choix de George Cukor pour la diriger, et traiter ce qui aurait pu, dans la prude Amérique Hollywoodienne de la fin des années 30, déboucher sur un parfum de scandale et de provocation, est magistral: le réalisateur, prenant le parti de tout centrer sur le point de vue de Marguerite Gautier, ou autour de son personnage, en fait un drame d'amour fou, à l'abri des écueils...
Nous assistons donc à la rencontre, due au hasard, entre la courtisane Marguerite Gautier (Greta Garbo) et le jeune Armand Duval (Robert Taylor), un inconnu qui est pourtant un fervent amoureux depuis longtemps. Il sait tout sur elle, et elle ne niera pas, pas plus qu'elle ne pourra cacher longtemps qu'elle est entretenue par un noble possessif, jaloux et tatillon, le baron de Varville (Henry Daniell). Rongée par la tuberculose (qui n'est JAMAIS nommée dans le film), rendue par l'environnement d'Armand (son père, un rôle formidable pour Lionel Barrymore) incapable de rester plus longtemps avec lui, Marguerite va se consumer d'amour, sous l'indifférence atroce et coupable de son milieu: les femmes de petite vertu qui continuent de s'affairer sans remarquer que la maladie qui frappe Marguerite, n'a rien d'un caprice de diva...
Le film est la plus belle adaptation du roman de Dumas (fils), et effectivement un rôle en or pour Garbo. La façon dont Cukor a conçu tout le film autour d'elle est impressionnante, et le film brille en plus par son interprétation, comme tous les films du cinéaste du reste... Cukor a privilégié comme il le faisait souvent, une interprétation en continu, en utilisant des plans d'ensemble dans lesquels les gros plans de l'actrice viennent préciser, affûter le point de vue. Et le naturel avec lequel Garbo et Taylor jouent l'amour fou nous font parfois rêver d'une interprétation Borzagienne, mais justement ce qui tranche sur les délires sublimes du metteur en scène de Three comrades (dont le destin des amants est si proche de celui d'Armand et Marguerite), c'est le fait que Cukor, qui a constamment recours à de superbes ruptures de ton, réussit toujours, paradoxalement, à rester sur terre... Comme il avait réussi à le faire dans le Romeo and Juliet de1936, et comme il allait continuer à le faire dans plus d'un drame et plus d'une comédie.
