
Ce film produit par Pandro S. Berman pour la RKO était un projet très cher au coeur de Cukor, et en dépit de l'implication forte (et souvent constructive) de Berman, il y a contrôlé l'essentiel. C'est un classique, mais il n'en a pas toujours été ainsi, puisque ce fut aussi le plus grand désastre de la carrière de sa star principale, et que le film a failli faire beaucoup de mal non seulement à Kate Hepburn, mais aussi à Cary Grant et à Cukor lui-même, qui a ensuite eu une assez longue période à réaliser des films en exclusivité pour la MGM, sans doute pour expier sa faute!
Henry Scarlett et sa fille Sylvia, deux Anglais bohèmes (Edmund Gwenn et Katharine Hepburn) qui vivent à Marseille doivent rentrer en Angleterre pour vivre, car si la maman de Sylvia récemment décédée les faisait vivre, Henry et ses combines ont plutôt tendance à n'amener que des ennuis. Pour brouiller les pistes (Henry doit de l'argent, et risque la prison), Sylvia se déguise en homme, et sera désormais Sylvester. Sur le bateau, Henry se vante auprès d'un passager cockney un brin envahissant mais amical, Jimmy Monkley (Cary Grant), de passer de la dentelle en douce: il est dénoncé par Monkley, une combine qui lui permet de passer de la marchandise en contrebande sans se faire attraper puisqu'il collabore avec la police. Néanmoins, Henry et "Sylvester" vont quand même faire affaire avec lui, et les trois se lancent dans une série d'escroqueries minables...
Cukor, après tout, sortait d'une adaptation plus que réussie de Dickens, et l'esprit de l'écrivain Anglais ne l'avait pas tout à fait quitté! Il s'est lancé avec passion dans cette étrange comédie, à nulle autre pareille... Le ton est souvent léger, énergique même grâce à l'alchimie entre Cary Grant (dont c'est à mon avis le premier vrai rôle de comédie, et il s'en satisfait très bien!) et Katharine Hepburn. Le décor (les routes de campagne d'une Angleterre de pacotille, principalement, et ses bords de mer filmés sur le Pacifique) est inhabituel, les personnages (ces escrocs à la petite semaine qui s'amusent à devenir de pires comédiens) tout est différent... mais évidemment, ce qui l'emporte aujourd'hui, ce sont les lectures qu'on peut faire de ce qui arrive à Sylvia-Sylvester, de ce costume qui va finalement lui faire prendre conscience de sa féminité, et de la façon dont les hommes qui l'entourent accepteront au final son changement de sexe sans sourciller.
Un petit frisson d'interdit, léger mais tenace, flotte sur ce film, aux changements de ton particulièrement notables: commençant comme un mélodrame à la limite de la parodie (Patrick Brion avance l'hypothèse que le prologue qui parle de la mort de Mrs Scarlett ait été imposé par la production, et Cukor n'était pas content), le film se mue en comédie picaresque, avant de bifurquer, après un passage dramatique, vers un marivaudage salutaire qui n'est pas sans annoncer le genre balbutiant de la screwball comedy...


