
On le dit souvent, Jasset est le précurseur du feuilleton, et avant Louis Feuillade, il a beaucoup fait pour à la fois créer un univers spécifique de l'intrigue policière à rebondissements, et fidéliser les spectateurs autour de séries qui eurent un énorme succès: Les aventures de Nick Carter d'abord, qui eut un énorme succès dans le monde entier (et c'est d'ailleurs grâce à a qu'on en possède aujourd'hui des copies), puis Zigomar et enfin Protéa. Le premier est un détective à l'ancienne: intelligent, travaillant en étroite collaboration non seulement avec la police mais aussi avec la presse, il a pignon sur rue, et est connu et craint de tous les bandits. Le deuxième, plus baroque, est son pendant malhonnête, un super-héros du crime... Enfin Protéa est une justicière dont Jasset n'aura le temps que d'esquisser les contours...
Ce film, l'un des derniers longs métrages de son auteur, est un cross-over entre les deux premiers personnages, en même temps que la conclusion aux aventures de Zigomar: sans nul doute, la censure Franaise très pointilleuse à l'époque, ne devait pas apprécier que le personnage principal d'une série de films soit un voleur quasiment intouchable, et a demandé à Eclair d'y mettre bon ordre. Le film est incomplet aujourd'hui, et difficile à résumer autrement qu'en précisant que Nick Carter et Zigomar se font une guerre sans merci, et d'escarmouche en piège, l'un d'entre eux finit par gagner...
C'est totalement délirant, hautement improbable, et les idées (qui seront d'ailleurs piquées par d'autres, en priorité bien sûr Louis Feuillade et Fritz Lang) vont chercher très loin: la toute première scène finit au bout d'une minute par une explosion spectaculaire dans laquelle un ennemi de Zigomar est mis hors d'état de nuire, justifiant l'intervention extérieure du héros d'un autre film! Et sinon, quand Zigomar tend un piège, il n'y va pas par quatre chemins: il tente d'assassiner son rival avec un...
...Piano.
Et Jasset (qui clairement ne prend absolument pas son film au sérieux) va jusqu'à utiliser l'animation image par image pour donner vie à une idée grotesque: lors d'une descente de police, Zigomar n'a qu'à appuyer sur un bouton pour donner à son tripot clandestin l'allure d'une digne salle de concert... Un type de substitution dont Fritz Lang se souviendra... Il se rappellera aussi du suicide spectaculaire en prison, le tout pour son Dr Mabuse der Spieler, en 1922.
Maintenant, on aimerait voir les autres films réalisés par Jasset dans le genre, avant que la censure ne s'en mêle et le somme de mettre son immense talent au bénéfice de l'unique bienséance avec ce film, qui contient toutefois, on s'en doute, sa dose de péripéties tournées dans le Sud (Marseille, Nice, Toulon) et son quota de morts violentes...
