
1931, un certain nombre de personnages quittent Pékin en train pour se rendre à Shanghai: le docteur Harvey (Clive Brook), médecin militaire en route pour soigner un haut dignitaire, un major français (Emile Chautard) en déshérence, qui dissimule un secret qu'il aura du mal à avouer, d'autant qu'il est l'un des rares à ne pas parler anglais; un industriel Américain, Sam Salt (Eugene Palette); Baum (Gustav Von Seyffertitz), un Allemand qui trafique de l'opium; Mrs Haggerty, une Anglaise (Louise Closser Hale), la propriétaire bien comme il faut d'une pension de famille; un pasteur, le révérend Charmichael (Lawrence Grant); un mystérieux Eurasien, Chang (Warner Oland)... Et deux femmes qui vont tout de suite se faire remarquer: Shanghai Lily (Marlene Dietrich), et Hui Fei (Anna May Wong). Deux prostituées de luxe, qui vont immanquablement provoquer la colère des uns, l'ironie des autres, et... la confusion de Harvey, qui a connu Shanghai Lily sous le nom de Madeline, et qui l'aime encore.
Mais c'est la guerre civile, et tout ce petit monde va être mis à rude épreuve lorsque Chang va s'avérer être un chef rebelle important, et qu'il va réquisitionner le train et prendre tous les passagers en otage afin d'obtenir la libération d'un lieutenant...
Le film prend sur plusieurs traditions, toutes ou presque liées au mélodrame: c'est un hus clos, situé dans ou autour du train, et dans lequel Sternberg reconstruit à sa façon (et avec l'aide de nombreux inserts et de transparences filmées en Chine par le grand caméraman James Wong Howe) la Chine dangereuse des films d'aventure. Il alterne le chaud et le froid dans une intrigue qui concerne essentiellement Shanghai Lily, Hui Fei, Chang et Harvey, le reste du casting jouant les choeurs Grecs, notamment en situant les évolutions de l'opinion publique. Le metteur en scène qui à l'instar de Stroheim, sait quelle valeur les signes religieux peuvent avoir dans ce type d'intrigue, va donner un rôle clé au révérend Charmichael, l'homme qui est le plus décidé à vouer les deux "courtisanes" à l'opprobre, va comprendre plus vite que d'autres qu'elles auront sauvé leurs compagnons...
Peut-être ce très rigoureux pasteur, a-t-il lu Boule de Suif? Comme je le disais, les événements rigoureusement faux et baroques de ce film étrange et envoûtant ressortent tous OU PRESQUE du mélodrame, mais la nouvelle de Maupassant, qui allait aussi inspirer à des degrés divers des cinéastes aussi différents que Mizoguchi et Ford avant la fin de la décennie, fait une apparition inévitable, à travers les aventures des deux femmes... Chacune d'entre elle se partage d'ailleurs le lot de l'héroïne de Maupassant... le film, visuellement, donne aux deux actrices une présence phénoménale, et certes, c'est Marlene Dietrich qui est la plus mise en avant, mais Anna May Wong, dotée d'une grande quantité de dialogue, et qui garde longtemps ses mystères, évite l'écueil d'un "rôle exotique" de plus, ou de trop...
Quant à la science de la lumière et de la mise en scène de Sternberg, elle est à son plus haut niveau dans ce film, à l'égal de The scarlet Empress et des trois chefs d'oeuvre muets des années Paramount. Le réalisateur s'est plus à utiliser toutes les opportunités offertes par un train, pour jouer et rejouer avec le cadre, séparant ou rapprochant les voyageurs, emprisonnant les uns dans la morale et les autres dans le mépris ethnique ou de classe... La preuve en images...




