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19 octobre 2019 6 19 /10 /octobre /2019 11:54

Déçus de ne pouvoir travailler dans un studio Américain (la Paramount pour être précis où ils étaient supposés mettre en chantier une adaptation d'An American Tragedy de Dreiser, qui revient à Sternberg), Eisenstein, le chef-opérateur Tissé et l'assistant et co-réalisateur Alexandrov mettent en 1931 le cap au Sud et décident de tourner un film qui sera une ode au Mexique, un pays qui a accompli sa révolution avant l'Union Soviétique... Le film prévu doit contenir quatre parties, un prologue et un épilogue: une sorte de parcours poétique dans un Mexique immémorial, à l'écart des plus grandes villes du Nord. 

Monté des années après la mort de son réalisateur principal, le film est resté inachevé pour cause de budget réduit, et de manque d'enthousiasme des éventuels mécènes. C'est resté une légende pendant de nombreuses années, avant qu'Alexandrov ne reçoive le feu vert pour monter le film en l'état, "selon les voeux" d'Eisenstein...

Le prologue installe le film dans une référence constante au passé Aztèque, entre les traditions et la pauvreté des populations. Eisenstein y inscrit ses "acteurs" (des paysans locaux choisis quasi systématiquement dans les populations indigènes) dans les paysages et les monuments du passé, en favorisant les contrastes saisissants entre bâtiments lointains et humains rendus gigantesques par illusion d'optique: un truc qu'il utilisera dans Ivan dans un plan célèbre. Il inscrit aussi dans ce prologue la tradition très solidement ancrée au Mexique de l'omniprésence folklorique de la mort...

Les trois parties présentées comme achevées sont consacrées dans un premier temps à un mariage, qui part du désir même, dans des images étonnamment sensuelles: celles-ci peuvent faire écho à la rumeur selon laquelle le réalisateur aurait vraiment découvert sa sexualité lors de cet intermède Mexicain! Cette première partie est lyrique et profondément documentaire dans l'esprit. La deuxième partie rappelle le cinéma Russe, avec une charge violente et lyrique contre la religion omniprésente; la troisième enfin dramatise une anecdote qui justifie la révolte, avec un couple de paysans qui son confrontés au viol de la jeune femme. L'acte de rébellion des paysans qui s'ensuit sera durement réprimé dans des images dures... Une quatrième partie envisagée, voyait Eisenstein s'intéresser à la révolution à travers le personnage héroïque d'un soldadera, une femme de révolutionnaire. Une partie dont aucune séquence n'a été tournée... L'épilogue célèbre l'esprit festif du Mexique d'après la Révolution, dans un recours à la fête autour de la mort, mais avec des costumes modernes...

Le film est mythique, et controversé: s'agit-il bien de ce que Eisenstein voulait faire? Peu importe, finalement nous savons qu'il était en pleine recherche (après son essai musical Romance Sentimentale qui en 1930 contrastait fortement avec les quatre films de long métrage qui le précédaient), qu'il était attiré par la collaboration avec Alexandrov, ce qui fait de ce dernier, bien qu'il ait été contesté, un maître d'oeuvre légitime pour finir la trace d'une aventure à laquelle il a lui-même participé. Et puis, il y a plus de beauté, de poésie, de lyrisme et d'invention dans ces 85 minutes, qu'il n'y en a dans tout son cinéma muet: le Mexique, dont il n'avait pas à faire la promotion, contrairement à ce qu'il avait du faire en Russie, avait clairement inspiré le metteur en scène...

 

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Published by François Massarelli - dans Eisenstein