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5 octobre 2019 6 05 /10 /octobre /2019 11:06

Dans une plantation en Malaisie, la nuit chaude est perturbée par des coups de feu, puis par la mort d'un homme: Leslie Crosbie (Bette Davis) vient en effet de tuer Geoff Hammond, l'ami de la famille avec lequel on avait pris ses distances. La suite s'organise: on prévient le mari de Leslie (Herbert Marshall), puis la police et l'avocat de la famille sont prévenus... Tout ça se passe entre gens de bonne compagnie, et le récit que Leslie fait des événements permet à tous de n'avoir pas le moindre doute: elle s'est défendue contre un assaillant et a toutes les excuses du monde pour avoir perdu son sang-froid et vidé le chargeur sur le cadavre! Pour tous, le procès ne sera qu'une formalité.

Sauf que pour Mrs Hammond (Gale Sondergaard) qui est une indigène (ce que ne manquent jamais de souligner, d'un air dégoûté, les braves protagonistes Britanniques, ce n'est pas aussi simple: elle fait savoir via l'avocat Joyce (James Stephenson) qu'elle est en possession d'une lettre qui accuse formellement Leslie d'avoir intentionnellement fait venir le soir de sa mort Geoff, dans le but évident d'un adultère... Joyce est donc devant un cas de conscience grave: commettre un parjure et céder au chantage pour sauver son amie, ou... laisse la justice se faire?

...Et pourtant le film, un pur mélodrame mâtiné de film noir, n'est pas un film policier, et ne se concentrera pas sur le cas de conscience évoqué, du moins pas seulement. Wyler y fait la preuve de son talent exceptionnel, en réussissant à transcender le théâtre filmé (c'est une adaptation d'une pièce de W. Somerset Maugham, l'auteur de Miss Sadie Thompson/Rain), tout en fournissant par des plans longs et soutenus à la fois un écrin de choix pour les acteurs, et une tension phénoménale au fur et à mesure que le film avance. Que Bette Davis (qui adorait Wyler, comme quoi tout est possible y compris pour l'une des actrices les plus égocentriques au monde!) y soit formidable, est une évidence: le metteur en scène se repose intégralement sur sa capacité à être le centre de tout: scène, intrigue, pensées des personnages, interrogations du spectateur... Le choix d'Herbert Marshall (qui n'allait pas très bien) joue aussi en faveur du film, lui qui devra interpréter un mari trompé qui doit aller jusqu'à s'humilier pour conserver la femme qu'il aime.

Le film joue aussi de l'atmosphère particulière, moite et inquiétante, de son parfum colonial: c'est à porter au crédit de cette production, que d'avoir développé une intrigue sans le moindre prêchi-prêcha, où finalement une britannique se fait prendre en flagrant délit de vice aggravé, coincée dans ses derniers retranchements par une femme locale, dont les intentions ne sont jamais totalement claires, d'ailleurs. Tous ces braves blancs, qui passent leur temps à se plaindre du climat en sirotant des cocktails, n'en peuvent plus de maudire celui qui est mort et qui l'avait bien cherché: il avait osé franchir la barrière raciale... Mais que penser de celle qui l'a tué, et qui cinq minutes plus tard (juste le temps de se changer en arborant désormais une tenue d'un blanc virginal), assume d'une façon incroyable le pire mensonge de sa vie en mettant sa propre vilenie sur le dis du défunt?

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Published by François Massarelli - dans William Wyler Noir