
En 1951, une poignée de soldats et marins Japonais qui "défendaient" depuis 1944 l'île isolée où le naufrage de leur navire les avait forcés à se retirer, ont été retrouvés et sauvés: ils avaient ignoré tous les indices éventuels de la fin des conflits, croyant à un piège de l'ennemi! Secourus et rendus à leurs familles, leur cas avait attisé la curiosité de Josef Von Sternberg qui y avait vu un prétexte formidable pour un film... Il avait certainement raison.
Donc ce long métrage, tourné à Kyoto, quasiment intégralement en studio, raconte le naufrage, puis la découverte sur l'île d'un couple, deux personnes marées, mais pas ensembles, qui survivaient déjà sans que la raison de leur isolement soit claire... Et entre l'homme et les marins, la quête de la survie allait aussi se doubler d'une lutte de pouvoir sur la femme, Keïko.
J'émets ici une hypothèse, que la copie personnelle du film (fortement érotisée) qui était en possession de Sternberg lui-même, mais aussi son histoire personnelle, et les toiles érotiques qu'il a lissées derrière lui (Car il était aussi peintre) tendraient à corroborer: si les hommes avaient survécu seuls, probablement Sternberg n'aurait-il pas été intéressé par cette histoire au point d'en faire un film à des milliers de kilomètres de chez lui, et d'en être le narrateur omniscient, ainsi que le metteur en scène - scénariste - décorateur et chef opérateur.
Car Keïko est le centre du film, son sujet et son objet, et à partir du moment où elle apparaît, on peut argumenter du fait que la narration stagne! coincée sur l'île, où les hommes hésitent entre regarder ailleurs, et s'entre-tuer, pendant que Keïko, habillée ou non, déambule au milieu de ces mâles qui sont manifestement plus attirés par le pouvoir qu'elle leur confère, que par les sentiments qu'elle éveillerait chez eux. Et la narration froide et détachée, souvent répétitive du metteur en scène, en parallèle avec le côté artificiel du film, en rajoute une couche.
Non que le film soit irritant ou ennuyeux, c'est juste que son étrangeté (notamment le fait que Anatahan a été conçu non pour les Japonais mais pour les Anglophones, et donc le Japonais des dialogues n'a absolument aucune importance, le seul fil langagier reste l'anglais monocorde de la voix off) nous en dit probablement plus long sur le metteur en scène que sur son intrigue...
Et devant une telle fuite en avant, un tel effort pour aller à l'encontre de tout, on comprend sans doute un peu comment il a pu être si difficile, et finalement impossible, pour le metteur en scène de cet étrange objet cinématographique, de revenir à son métier à partir de la sortie (plus que confidentielle) de ce film, un pur OFNI.
