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6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 17:34

Le premier film d'Eisenstein, du moins son premier long, était presque un film amateur, marqué par l'enthousiasme et une énergie formidable, communicative et même naïve... C'est ce film qui a mené le réalisateur à sa carrière, marquée par des films ambitieux, importants, et sans doute aussi très frustrants. Cette frustration, selon moi, est partie intégrante de ce premier effort, mais elle n'est pas excessivement gênante, car je crois que ce qui caractérise La Grève aujourd'hui c'est non seulement son inventivité, mais aussi et surtout cette incroyable liberté qui se manifeste à travers cette histoire pourtant marquée par la propagande...

Une usine est la propriété d'un groupe de financiers, qui décident d'accélérer les cadences et de surveiller au plus près leurs ouvriers, en leur mettant dans les jambes un groupe de mouchards tous plus véreux les uns que les autres. Les ouvriers se mettent en grève avec l'appui de la population, les patrons vont frapper fort et la répression sera terrible...

Eisenstein, jeune cinéphile, s'était enthousiasmé pour Stroheim (dont il admirait l'oeuvre entière), Griffith (y compris The birth of a nation, même s'il en désapprouvait évidemment le conservatisme) et Lang... Sans surprise, ces trois modèles se retrouvent à des degrés divers dans La Grève: de Stroheim, Eisenstein va reprendre un sens du détail et une certaine tendance au naturalisme; de Griffith il reprend l'énergie et la clarté de la mise en scène quand il s'agit de montrer la lutte entre deux clans, ce qui va le servir dans un film qui sera on ne peut plus manichéen. Enfin, de Lang, il va s'approprier la lente montée vers la violence, notamment celle présente dans les scènes de révolte de Dr Mabuse, qui ont représenté pour lui un modèle de cinéma d'attraction. Il va pour sa part mener son film vers une explosion de violence et d'injustice, racontée en détail avec la répression de la grève.

Pourtant ce qui me frappe, et ce qui fait sans doute le prix de ce film, c'est que s'il décide très tôt de ne jamais s'intéresser à UN prolétaire en particulier, en privilégiant constamment la masse sur l'individu (Lénine est appelé à la rescousse pour amener l'idée via un texte en préface), Eisenstein qui ménage constamment sa foule de gréviste et de prolétaire, en les traitant avec respect, déchaîne une vraie verve de caricaturiste pour présenter les autres: financiers et patrons à gros cigares, mouchards et briseurs de grève qui sont tous des "types" reconnaissables (ils sont affublés de noms 'animaux le plus souvent) et le film est souvent, dans ses scènes d'exposition, une comédie. Par la suite, cette verve s'affinera pour se débarrasser de toute trace de rigolade, même si la caricature demeurera (dans le portrait des officiers du Potemkine par exemple)... Mais ici elle fait mouche, et tranche efficacement avec la violence qui s'ensuivra.

Le message passe, en fait, assez bien: c'est qu'en 1924 quand il tourne ce film, Eisenstein est encore à raconter les époques durant lesquelles la révolution était nécessaire, il n'est pas encore confronté à l'écueil de La Ligne Générale qui l'obligera à être, à la demande de Staline, le chantre des tracteurs... Il y a des longueurs et des balourdises dans La Grève bien sûr, mais elle ne pèsent pas si lourd face au montage brillant, au cinéma d'avant-garde profondément excentrique qui se manifeste ici, notamment de la première bobine qui est époustouflante dans son cadre et dans sa narration goguenarde... Et puis le rire se fige vite: ces briseurs de grève et autres mouchards sont peut-être drôles, mais ils annoncent des morts, des injustices et une spectaculaire charge de cosaques dans les habitations des ouvriers, dans laquelle les morts innocentes en annoncent d'autres, plus célèbres: ce sera sur un escalier...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Eisenstein 1925 Demain, nous serons des milliers *