
Oscar du meilleur film en 1987, ce Dernier empereur a été tourné en Anglais, en Chine. Bertolucci a changé de façon évidente entre les prémisses du tournage (qui d'ailleurs était prévu pour un autre projet), et l'accomplissement parfois dans la douleur, parfois dans la félicité, d'un film qui allait lui faire reconsidérer sa vision politique des choses... Ce n'est pas rien.
Maintenant, il y a essentiellement trois identités de ce film: pour commencer, c'est une bien paradoxale biographie d'un homme qui n'avait pas de quoi se vanter: empereur à trois ans, obligé d'abdiquer avant sa puberté, et maintenu à sa place comme un fétu de paille ou forcé de quitter son palais-prison, puis forcé d'adopter l'idéologie de la Chine Rouge, Pu Yi est un éternel enfant, finalement incapable de se débrouiller tout seul, bref: élevé dans la certitude de sa divinité, il ne sait pas lacer ses propres chaussures. Et par lui, c'est la complexe histoire de la Chine, entre domination Mandchoue et tentation démocratique des Chinois, entre occupation Japonaise et guerres fratricides, entre victoire de Mao et Révolution culturelle, qui nous est contée à travers la vie d'un homme qui n'a pas tout compris et qui est resté toute sa vie un éternel enfant, privé de mère, de nourrice, puis d'enfance, ce qu'un leitmotiv de la première partie nous fait passer par l'obsession mammaire...
Ensuite, c'est bien sûr une prouesse à signaler: parti faire un film en Chine, Bertolucci a du essuyer des refus et des humiliations, avant de se retrancher sur l'histoire de Pu Yi. Mais après ces frustrations, il ne s'attendait sans doute pas que dans un geste de détente, on le laisserait tourner dans la magnifique Cité Interdite de Pékin... Une source de bonheur visuel constant dans le film, clairement. Et cette étonnante intrigue donne lieu à une série de flash-backs puisque toute l'histoire est revécue par Pu-Yi depuis sa prison, car il a été arrêté en tant que criminel de guerre, à la fin de la seconde guerre mondiale. Le metteur en scène tente parfois de trouver un souffle proche de celui de David Lean (c'était dans l'air du temps dans les années 80, voyez Spielberg et Pollack, voire Lean lui même, qui ont tous délivré des films épiques...), et donne à Peter O'Toole un rôle-clé, celui du professeur particulier de Pu-Yi... Enfin, Bertolucci vient à bout de son marxisme avec ce film, dégoûté de la partie de ping-pongé jouée par les autorités chinoises, partie dans laquelle il était, bien sûr, la balle.
Enfin, et c'est bien le problème de ce film, c'est un objet palpable, tangible, qu'on peut juger sur pièces. Il souffre d'un défaut récurrent, inévitable, même s'il est moins gênant que 1900, la fresque tournée par des acteurs qui parlaient quatre langues, et post-synchronisé à Cinecitta... Car je le redis ici, en ce qui concerne le son des films, l'Italie de 1987, est toujours hélas le pays de Mussolini, qui avait imposé le doublage pour contrer l'ingérence étrangère par le multi-linguisme! et Bertolucci, formé dans les studios Italiens, a fait comme d'habitude, c'est-à-dire imposé à ses acteurs de tourner en muet. Ils ont bien dit un texte (en Anglais), qui a ensuite été post-synchronisé pat un boucher charcutier, et c'est immonde... aucune synchronisation dans le film, et c'est encore pire dans la version longue. Le fait que Bertolucci lui-même ne soit pas un expert de l'Anglais n'arrange rien, quand on voit par exemple les efforts pénibles de Ryuichi Sakamoto pour balbutier la langue de Shakespeare.
Cela étant dit, ça n'enlève pas l'étrange majesté du portrait de ce fantoche magnifique, ni la philosophie étonnamment lucide du film, qui nous conte comment un homme finit par donner du sens à sa vie en s'inventant une responsabilité acquise à la dure (quand Pu-Yi découvre par le biais de la propagande Chinoise, les exactions japonaises dont l'empereur Mandchou s'est fait le complice involontaire, il va tenter d'en endosser la responsabilité par moralité), puis en trouvant une authentique occupation en tant que jardinier. Un homme qui a trouvé son sens, et qui finit par assumer... son individualité, tout en se réconciliant dans une ultime et sublime scène, avec son enfance perdue. Un homme privé de tout sens collectif, qui va trouver son bonheur contre le sens de l'histoire. C'en est bien fini du marxisme de l'auteur!



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