
On oublie parfois que Louis Feuillade n'est pas que l'homme des Fantômas, des Vampires et de Judex... Qu'au-delà de son oeuvre policière et vouée au mystère, le metteur en scène a aussi fait preuve d'une versatilité impressionnante, passant allègrement durant ses années à la Gaumont d'un genre à l'autre, avec les mêmes interprètes le plus souvent.
L'agonie de Byzance raconte la chute de la capitale de l'empire Byzantin, à l'arrivée des troupes Turques du sultan Mahomet II (Albert Reusy). En trois jours, la ville défendue par les derniers soldats de l'empereur Constantin, va se faire prendre par une troupe détermine, et qui ne rigole vraiment pas...
Ce film de 1913 fait partie des spectacles grandioses et édifiants de la firme à la marguerite, et on aurait attendu un Etienne Arnaud ou un Gérard Bourgeois pour le tourner, dans la mesure où ce type de production était leur spécialité. Mais ici, Feuillade traite le sujet selon sa volonté, et s'est fixé pour ambition de réaliser une super-production selon les standards de l'époque. La plupart des décors sont donc en carton-pâte, et l'interprétation (Luitz-Morat en empereur Constantin, et Renée Carl, Edmond Bréon, ou George Melchior en personnages divers) est également d'une grande fausseté, selon les canons théâtraux en vigueur.
Mais la structure du film, qui conte une inéluctable débâcle par le menu, qui s'efforce de se placer selon le point de vue des victimes tout du long, et qui maintient l'intérêt par un usage consommé de la profondeur de champ, force le respect; en particulier Feuillade choisit de traiter les épisodes de l'invasion en montrant l'arrivée des Turcs depuis le fin fond de la scène, pour un effet d'une grande violence. Il ne nous épargne pas le traitement toujours fantasmé (le français étant toujours le champion incontesté de l'islamophobie) des femmes, assujetties avec un sens du détail ici, qui ne fait certes pas dans la dentelle... Et ce n'était pas une métaphore.
Bien sûr, les Italiens feront dix fois mieux dès l'années suivante, mais Feuillade avec ses centaines de figurants (comptez-les!) et son goût mesuré du sensationnel, n'oublie jamais de satisfaire le public... Même s'il abandonnera bientôt cet attrait pour le traitement de l'histoire, au profit de son univers de romans-feuilletons...



