
Sous ce titre aussi court que lourd de menaces, se cache l'un des films de la série de Louis Feuillade et Gaumont, La vie telle qu'elle est. Si le "cinéma premier" de la firme se nourrissait déjà du goût du public pour les séries, celle-ci était novatrice: il ne s'agissait ni de scènes comiques, ni d'histoires autour de personnages récurrents (Onésime, Léonce, Bébé, Bout-De-Zan faisaient alors le bonheur des spectateurs); La vie telle qu'elle est entendait rester fidèle à son titre, et proposer un reflet de la réalité, sous un jour dramatique, et tant qu'à faire coller à l'actualité.
De façon surprenante pour la très bourgeoise Gaumont, les films étaient parfois assez novateurs aussi en matière de revendication sociale, tel ce drame de trois bobines dans lequel Feuillade se paie la fiole des réformateurs de tous poils et de leur esprit étriqué... Lui qui était royaliste, et qui travaillait pour le très Catholique, très (très très) droitier, et très comme il faut M. Léon Gaumont, devait sans doute en connaître un rayon sur le sujet...
Anna Moulin (Renée Carl), dite Nana, travaille pour un "cabaret pour jeunes femmes", un établissement dans lequel il ne fait sans doute pas aller très loin pour pouvoir l'appeler une maison close. Elle souffre de sa situation, mais ne voit pas comment en sortir... Jusqu'au jour où elle s'occupe d'un consommateur, le Docteur Perrin (Henri Collen), qui lui propose de quitter son "métier" et de travailler avec elle dans une clinique dédiée aux pauvres. Nana le suit, devient la clé de voûte de l'institution, et a la surprise d'entendre, le jour où on fait lecture du testament de Perrin qui vient de décéder, qu'il la nomme à la tête de sa clinique. Tout le conseil d'administration s'en réjouit, mais Anna va devoir vivre un calvaire quand un étudiant qu'elle a éconduit, Alphonse (Jean Ayme), décide de la dénoncer comme ancienne prostituée...
On appréciera les efforts de l'équipe du film pour contrer le risque de censure: le "cabaret" où travaille Nana n'a rien qui puisse nous faire penser qu'il s'agit d'autre chose qu'un débit de boisson (d'ailleurs le Docteur Perrin s'y rend sans penser à mal), mais le contexte et l'intrigue nous permettent de recoller les morceaux de ce qui n'est jamais clairement dit. Le film est notable par son refus de juger, tout en pointant un doigt accusateur envers ceux qui rejettent l'héroïne. Le film tout entier est évocateur de deux courants qui' n'ont pu qu'influencer Feuillade: les films Scandinaves et particulièrement Danois, dont la franchise et la noirceur étaient un exemple pour tous les cinéastes de l'époque, sans parler de la qualité du jeu des interprètes; les films "populaires" de Capellani chez Pathé, le grand concurrent, ont certainement aussi eu une influence sur La Tare. A travers le refus du spectaculaire, la clarté de l'intrigue, c'est une preuve de l'importance indéniable de ce courant réaliste chez Feuillade.

