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6 janvier 2020 1 06 /01 /janvier /2020 16:07

Ce film, sorti au beau milieu des années 40, est non seulement un superbe film noir, mais il va plus loin: comme The big sleep, Mildred Pierce, Shadow of a doubt ou Double indemnity, il fait partie d'une poignée d'oeuvres qui vont déterminer pour longtemps les contours même du genre... Qu'il soit dû au solide métier de Jacques Tourneur ne devrait nous étonner qu'à moitié, car si le metteur en scène est connu paradoxalement pour ses rares films fantastiques, c'était aussi un talentueux orchestrateur de films, rompu à tous les exercices de style, dont le talent pouvait en particulier s'accommoder sans problème d'un genre qui oscillait à la croisée de tous les autres: films d'action, d'aventures, policier et film fantastique pour les ambiances nocturnes, tout cela faisait le film noir.

Nocturne: le mot est lâché, et ce film intense est indissociable du talent de son chef-opérateur, Nicholas Musuraca. Du reste, le plus célèbre crédit de ce technicien hors-pair, sans surprise, est Cat People de... Jacques Tourneur. De là à penser que ce dernier opère avec ce film un transfert de sa maîtrise en matière de fantastique vers le genre le plus prisé des metteurs en scène dans les années 40, il n'y a qu'un pas...

Jeff Bailey (Robert Mitchum) tient une station-service sur les rives du lac Tahoe, où il aime aller pêcher avec son employé, un jeune sourd-muet (Dickie Moore). Il a une petite amie, Ann Miller (Virginia Huston). Les parents de cette dernière désapprouvent cette union, parce qu'ils se méfient de Jeff, un nouveau venu en ville... Qui a en effet, sous un autre nom, un passé chargé qui ne va pas tarder à lui revenir en pleine figure: l'ancien détective privé Jeff, de son vrai nom Markham, a fui Whit ( Kirk Douglas), un patron de la pègre qui ne pouvait que lui en vouloir, lorsque Markham avait fichu le camp avec sa petite amie Kathie Moffat (Jane Greer), mais il avait aussi fui Kathie quand il s'était rendu compte que cette dernière s'était servie de lui contre Whit. Et Whit, qui vient de retrouver Jeff, lui fait savoir qu'il a un travail à lui confier... Un travail, ou un enterrement de première classe?

Comme The big sleep ou The Maltese Falcon, difficile de résumer ce film, dont l'essentiel tient ailleurs: dans l'impossibilité pour Jeff Markham-Bailey de se sortir d'un milieu qui ne souhaite pas qu'il en parte, alors qu'il n'avait pas du tout vocation à en faire partie! Et Jeff, qui n'est pas né de la dernière pluie, sait ce qui se trame autour de lui, et qu'il est le jouet aussi bien de Whit que de Kathie, deux êtres voués, eux, au mal. Cet aspect est sans doute le ytrait le plus distinctif du film, le fait que Jeff (il s'en ouvre assez franchement auprès de Kathie au début) sent qu'il est coincé et que tôt ou tard, le passé reviendra pour l'empêcher de jouir du présent...

Du coup c'est un homme en perpétuelle fuite, une fuite précaire, incertaine, et qui donne souvent l'impression que l'ex-détective, mal vu dans son ancien milieu comme dans son environnement actuel, avec ces braves gens qui se méfient de lui, est un condamné en sursis, un peu à la façon dont le Dr Holden sera le jouet de forces démoniaques dans Night of the demon. Les scènes nocturnes, une majorité dans le film, et les nombreuses scènes dans les bois, nous montrent d'ailleurs quelqu'un qui semble chercher à l'écart des endroits désignés du film noir, un salut qui ne viendra jamais! Jeff Bailey ou Markham ne sera jamais chez lui nulle part.

Avec sa narration basée sur un premier acte qui tient essentiellement du flash-back conté en voix off par son héros, puis un mélange d'atmosphère entre les divers univers où évolue Jeff, Tourneur se joue des formes habituelles du film noir qu'il transcende allègrement, en y opérant des variations minutieuses. En gros il le réinvente à sa façon, aidé par le travail exemplaire de Musuraca, et des acteurs formidables. On remarquera au passage que le film présente certes un méchant inhabituel, avec la distinction presque juvénile de Kirk Douglas, mais aussi non pas une, mais deux femmes fatales potentielles, avec Rhonda Fleming qui vient s'ajouter, dans le rôle de Meta Carson, à la fête... Bref, ce film, l'un des plus longs de son auteur (avec seulement 97 minutes au compteur) est une réussite essentielle.

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Jacques Tourneur