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1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 11:57

Difficile de voir ce film, la troisième des productions de Val Lewton pour la RKO, en faisant abstraction de Cat People. Pour commencer, ce n'est pas une suite, et c'est même un film extrêmement différent du précédent; une fois admis que le titre est un rappel gratuit et un peu malhonnête, l'effort de Tourneur pour ce nouveau film est situé dans un monde bien éloigné de l'univers du précédent film... 

Au nouveau-Mexique, dans un petit village frontalier, deux femmes travaillent pour un night-club, et se font concurrence à travers leurs numéros respectifs. Kiki (Jean Brooks) sent bien que Clo-Clo (Margo), une jeune femme locale, la bat en sensualité et en flamboyance avec sa danse flamenco, alors son manager (Dennis O'Keefe) lui confie un accessoire pour marquer les esprits: il a emprunté un léopard pour qu'elle fasse une entrée remarquée lors de la prestation de sa rivale. Mais celle-ci ne se laisse pas démonter, et elle effraie la bête avec ses castagnettes. Lors de sa fuite, le léopard va tuer une jeune paysanne... Puis une deuxième jeune femme meurt, et Kiki et son manager sont rongés par la culpabilité...

Je disais plus haut que le titre était un peu plus publicitaire qu'autre chose, visant à attirer la clientèle, mais il est malgré tout un peu justifié par l'intrigue de ce nouveau film: certes il n'y a cette fois pas de créature maléfique et féline, mais tout bêtement deux personnes qui peuvent porter cette appellation: le propriétaire du félin mentionné dans le synopsis, et un scientifique bien pratique, qui joue le rôle d'expert que les héros consultent dans le but d'avancer aussi bien l'intrigue, que les spectateurs... Mais ce que voulait probablement le public, et ce que fournit le film à trois reprises, c'était des scènes mémorables: et si d'une manière générale le film surprend par un manque apparent de cohésion (des digressions insistantes), les séquences en question sont remarquables... La plus belle est une nouvelle évidence de la maîtrise narrative de Tourneur et de son habileté peu commune à jongler avec les ingrédients et avec le dosage de l'angoisse; c'est le premier meurtre, une jeune fille qui sait qu'un fauve rode, est amenée à aller chercher de la farine la nuit, par son impitoyable mère. Son angoisse monte au fur et à mesure que le tempo ralentit. Tourneur profite de la scène pour refaire le gag du bus de Cat People (il fait intervenir un élément extérieur pour surprendre le public et le faire sursauter au moment opportun, mais surtout il assène l'angoisse sans rien montrer ou presque... jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard pour la jeune fille.

Et en parlant de jeune fille, le sous-texte de ce film plus sérieux qu'il n'y paraît est fascinant, car d'une part il est ici question d'un serial-killer, non seulement en discussions, mais aussi dans les faits; c'est à ma connaissance l'une des premières fois dans le cinéma Américain. Et derrière ses héros, ces deux Anglo-saxons qui sont venus se perdre au Nouveau-Mexique, se cache une réflexion d'une grande noirceur, sur la différence entre d'un côté les W.A.S.P., tel les peu sympathiques personnages principaux, ou encore ce milliardaire aperçu au volant d'une grosse voiture, et de l'autre les Indiens et Hispaniques qui peuplent le village. A un moment, le scientifique mentionne d'ailleurs que la ville a été construite sur les ruines d'un pueblo autrefois habité par les Indiens, et qui avait été rasé par les Conquistadores.

Et c'est là que se justifient les apparentes digressions du film: car les auteurs nous promènent beaucoup dans cette petite ville, et semblent, dévier aussi souvent que la caméra le permet, et en particulier quand on nous montre les "héros" paradoxaux, ces Américains moyens qui font venir malgré eux l'horreur dans le village. On suit un personnage, et on verra tout à coup la caméra prendre des chemins de traverse, et s'intéresser à quelqu'un dautre, comme cette petite adolescente hispanique, qui sera la première victime... Tout le film fonctionne de cette façon, finissant par nous convaincre que les personnages principaux ne sont pas vraiment à leur place...Dans The Leopard Man, Jacques Tourneur nous montre sans se priver une ville devenue Anglo-Saxonne malgré elle, où la misère des gens d'origine locale est évidente, au point où certains d'entre eux semblent surtout tolérés.

...Tiens donc.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Tourneur Val Lewton