
1900, dans une petite bourgade du Sud, les trois enfants de la famille Hubbard ont grandi: il y a l'aîné, Ben (Charles Dingle), qui ne s'est pas marié, mais qui sait si bien utiliser les mariages des autres et leur progéniture: par exemple il a certainement conseillé à son frère Oscar (Carl Benton Reid) de se marier avec l'aristocrate Sudiste Birdie (Patricia Collinge). Il a écouté le conseil et a ainsi pu faire main basse sur ses champs de coton, pour le compte des Hubbard! De même Ben observe-t-il le parti qu'on peut tirer de Leo (Dan Duryea), le fils d'Oscar. D'accord, c'est une véritable andouille, mais le moment venu on pourra toujours le marier à sa cousine Alexandra (Teresa Wright), la fille de la benjamine Regina (Bette Davis). Celle-ci, mariée mais aussi fâchée à Horace Giddens (Herbert Marshall), est un peu trop individualiste et intelligente, pour ne pas dire maline, pour ses deux frères.
Et au moment où commence le film, la famille s'entend pour entamer un partenariat fructueux avec un grand industriel du Nord. Une opération dans laquelle les trois Hubbard sont partie prenante, et pour laquelle ils seront prêts à tout pour avancer leurs pions... Ce qui ne réjouit guère Horace, dont es problèmes cardiaques ne s'arrangent pas, et encore moins Alexandra, qui aimerait quitter le cadre familial pour passer plus de temps avec le jeune David (Richard Carlson), qui lui au moins semble avoir une morale...
C'est un monumental jeu de massacre, d'une méchanceté rarement atteinte... Le film est adapté d'une pièce au vitriol de Lillian Hellman dans laquelle a triomphé Tallulah Bankhead, dans le rôle de Regina évidemment. Le choix de Wyler de confier le rôle de la moins scrupuleuse, et de la plus intelligente des Hubbard, à Bette Davis, est néanmoins un choix particulièrement judicieux, l'actrice ayant à mon sens atteint ici le plus haut niveau de son art... Il a malgré tout confié à certains acteurs de la production de 1939 de Broadway (Dingle, Duryea par exemple) leur rôle habituel dans le film, obtenant des performances exceptionnelles. Comme d'habitude, le metteur en scène privilégie les acteurs dans son cadre et son montage, se reposant sur des longues prises, avec une caméra en liberté dans des intérieurs somptueux, aux escaliers immenses. Une impression de corruption et de manigances se fait sentir dès la première soirée, et on n'attend pas longtemps avant de voir que le principal carburant de cette famille de capitalistes forcenés, est le venin...
La mise en scène de Wyler fait aussi un usage important de tout l'environnement (la ville, la banque où travaille Leo, si on peut appeler ça travailler), mais aussi et surtout les coulisses, les pièces où les domestiques de la famille travaillent au bien-être de leurs ordures de patrons. Des endroits où nous croisons David, mais aussi Alexandra, parfois Horace, et surtout Birdie, la malheureuse Sudiste délaissée depuis la minute où son mari en l'épousant a saisi sa fortune... Elle est l'une des clés de ce film qui montre une fois de plus le Sud comme un monde disparu, mais cette fois-ci c'est sous les décombres de l'indécence et de la corruption des trois autres! Et les noirs, omniprésents dans le film, agissent le plus souvent en choeur grec, ou aussi en rappel évident que l'humanité peut être aussi, parfois, décente. Pas les Hubbard...
La scène la plus hallucinante du film est filmée comme un meurtre, c'en est d'ailleurs un, plus ou moins: Wyler cadre le fauteuil où est assise Regina, et à droite se trouve Horace, qui est mourant. Il a soudain une crise grave, et lui demande de l'aide. Cadrant au plus près du visage de Bette Davis, Wyler nous la montre s'empêchant littéralement d'intervenir afin de hâter la mort de son mari. Au fond du champ, on oit alors la silhouette de ce dernier qui tente désespérément de monter l'escalier pour aller chercher un médicament... Le visage de son épouse ne bouge pas... ca fait froid dans le dos, et le film a la sagesse risquée de ne pas résoudre, à la fin, les manigances de ses trois monstres. Au moins sauve-t-il deux personnages. Ce film à la méchanceté sans précédent (même Greed, je pense, ne va pas aussi loin) est magistral.


