
A New York, un quartier pauvre cerné de gratte-ciels où vivent de riches familles: nous y suivons les aventures et tours pendables d'une bande de gamins, tous nés plus ou moins dans la rue. Ils n'en ratent pas une et ont un plaisir particulièrement notable: faire sentir aux bourgeois qui par malheur s'égareraient dans le coin, qu'ils ne sont pas les bienvenus, ce qui arrive à un gamin aussi désoeuvré que favorisé, qui avait cru pouvoir sympathiser avec eux. La soeur du leader de la bande, Drina (Sylvia Sidney), travaille, mais elle est impliquée dans une grève qui refuse de s'arrêter. Elle a un faible pour l'architecte Dave (Joel McCrea), un natif du coin, mais qui n'arrive pas à trouver un travail solide, du coup, il survit de petits boulots... Et il courtise Kay (Wendy Barrie), une jeune femme de la haute société, qui est mariée mais pas par amour.
Pendant la journée qui nous intéresse, un revenant fait aussi son apparition, "Baby Face" Martin (Humphrey Bogart), également natif du quartier, mais qui fait les gros titres des journaux: avec huit morts au compteur, c'est l'ennemi public numéro un. S'il est venu se risquer dans son quartier, en compagnie d'un collègue (Allen Jenkins), c'est qu'il a un nouveau visage... et une impérieuse envie de revoir sa maman et sa petite amie. Le problème, c'est que nouveau visage ou pas, Dave, qui voit d'un mauvais oeil un tel contre-exemple à offrir aux gamins du quartier, l'a reconnu...
William Wyler n'avait pas son pareil pour adapter intelligemment une pièce de théâtre... Et ici, il va construire un décor unique mais impressionnant, qui me fait un peu penser à celui de Seventh Heaven, et dans lequel il va s'efforcer de filmer des portions aussi longues que possible, afin de favoriser le naturel des acteurs: c'est à cet égard une brillante réussite, d'autant que les gosses qui jouent les rôles des gamins des rues sont criants de vérité... On sent chez eux l'attrait du cinéma, notamment l'influence de James Cagney: je parle non pas des acteurs, mais bien des personnages, qui ne parlent de cette façon empruntée, qu'entre eux et en représentation dans la rue! Face à sa soeur, par exemple, le petit Tommy parle normalement.
Mais si le film est souvent incroyable de naturalisme (en dépit des limites du décor, et des transparences nécessaires pour qu'on puisse avoir l'élément fluvial si essentiel aux quartiers pauvres du New York des années 30), il ne se vautre jamais dans la facilité: et si la pièce comme le film adoptent un ton ouvertement réformateur, ce n'est jamais lénifiant. Le cas de Martin, joué avec génie par un Humphrey Bogart qui avant encore tout à gagner, est essentiellement une tragédie personnelle, celle d'un homme qui d'une certaine façon a réussi, mais se fait rejeter par sa mère comme par sa petite amie, d'autant qu'il a provoqué chez elle en l'abandonnant un choix de carrière qui n'arrange pas les choses... Le duo Jenkins et Bogart, tous deux échappés des films pré-code de la Warner, ne manque pas de saveur, et comme l'humour grinçant des gamins, tranche dans un cinéma Américain qui était alors bien policé... Et de voir et entendre Sylvia Sidney et Joel McCrea, prendre la défense des sales gamins, après qu'ils aient vu les pires horreurs qu'ils ont fait subir à un pauvre gosse, est pour le moins inattendu: mais la pièce avait suffisamment marqué le public pour que le film puisse incorporer ces éléments provocants!
Avec son conte éminemment moral, qui se termine dans le sang, mais qui fait avancer les plus justes des protagonistes dans le bon sens, avec enfin sa vision d'un rêve Américain à plusieurs vitesses, dans lequel la caméra vient piocher d'en haut, montée sur une grue, Dead end est un grand moment de cinéma et un passage obligé de la carrière de son réalisateur. ...Et pour Bogart, ça a du jouer un rôle important aussi, puisque les rôles qui suivront ce film, à la Warner, vont lui permettre d'aller toujours plus loin. En restant un gangster, bien entendu: il ne faudrait pas trop demander...

