
Mis en chantier après Street Angel de Frank Borzage, qui réunissait Charles Farrell et Janet Gaynor, il me semble que Fazil est une bonne indication d'une volonté délibérée d'érotiser l'acteur, dont les scènes sentimentales dans Old ironsides ou dans les deux films qu'il avait interprété pour Borzage, montraient surtout sa gaucherie (calculée), son côté enfant... Avec Fazil, Hawks avait pour mission de le transformer en un bouillant objet de convoitise pour les spectatrices, un peu à la façon d'un Valentino, en particulier dans sa version "Sheik", auquel ce film fait souvent penser...
Fazil (Farrell) est un prince Arabe fier, et respectueux des lois et coutumes de son pays (le film s'obstine à parler de "race", plutôt que de pays, mais n'étant pas coutumier des gros mots, je m'abstiendrai), doit se rendre à Venise pour une mission diplomatique. Il y fait la connaissance de Fabienne, une jeune Française en villégiature: c'est le coup de foudre réciproque, suivi du'n mariage hâtif... Mais Fazil, à Venise, se révèle un amant capricieux, et un mari jaloux. En particulier, il interdit à son épouse de laisser un autre homme la regarder. Remis à sa place, Fazil repart seul chez lui... Aidée de ses amis qui lui enjoignent de rebrousser chemin, Fabienne se met en tête de le rejoindre...
...et ça finira mal, selon un code bien inscrit dans la tête des gens: east is east, and west is west, and never the twain shall meet, soit l'orient et l'occident ne peuvent pas cohabiter. En d'autres termes, le film fonctionne entièrement sur la base raciste de l'idée qu'un Arabe avec une "Blanche", c'est impossible. Un fantasme délirant, infect et inacceptable aujourd'hui (si vous pensez différemment de ce que je viens d'écrire, je vous interdis de me lire), mais si parfaitement intégré à l'époque qu'on en a imprimé des kilomètres de pellicule. C'est même tout un genre, qui fonctionne sur le frisson de l'interdit, l'exaltation et l'adrénaline du mystérieux: The Sheik, The son of the Sheik, The Arab...
L'intérêt de cette entrée tardive dans le canon est de présenter avec Fabienne, une héroïne autrement plus dégourdie, et bien intéressante non seulement que les autres du genre, mais aussi et surtout que Fazil. En Greta Nissen, l'autre Greta (venue de Norvège via le Danemark), Hawks trouve une actrice qui est à la fois profondément sensuelle, sans exagération, et très naturelle. Fabienne tient tête à Fazil et s'essaie même à l'éduquer sur leur égalité. Les femmes de l'époque avaient conquis le droit de vote, aux Etats-Unis, car ce n'était pas un pays sous-développé comme la France, et cette démarche vers l'égalité informe beaucoup le personnage, et place le curseur du film sur un terrain plus intéressant que le racisme bête et brutal. C'est cette volonté d'égalité qui trouble Fazil (Farrell, évidemment, est troublé), et qui couplé à la franchise érotique du film, le rend finalement assez intéressant, tout en se vautrant dans la dernière bobine dans un tout-venant mélodramatique assez rébarbatif. Quelques belles scènes, d'autres au moins notables par leur aspect direct: le coup de foudre est situé de part et d'autre d'un canal, à Venise, et vu de trois points de vue: celui de Fazil, puis celui de Fabienne, et enfin du point de vue d'un gondolier qui passait par là; la scène du réveil de la nuit de noces est d'une sensualité sans égal; et enfin, la visite par Fabienne du harem de son mari, dont elle n'avait pas connaissance, est un festival de tenues pour lesquelles l'adjectif diaphane a sans doute été inventé...
On le voit, si sa légendaire façon directe de raconter (ici tout est linéaire) est déjà là, on est dans un domaine qui reste assez étranger à l'univers futur d'Howard Hawks, tel qu'il se constituera à l'époque du parlant. Du reste, au vu du film, avec les à-côtés les plus cocasses voire saugrenus (pourquoi avoir demandé à Dale Fuller de porter un nez postiche, par exemple? Pour l'enlaidir? était-ce vraiment nécessaire?) qui semblent trahir le fait que pour le metteur en scène, tout ça n'était pas bien sérieux... Et le film suivant de Charles Farrell, qui recadrera les choses, permettra de situer cette recherche de l'érotisme du personnage, plus près de son caractère naïf: il sera Allen John Pender dans le merveilleux The river de Frank Borzage.

