
Tourné en 1918, alors que l'Allemagne s'apprête à perdre la guerre, Opium est un cas extrême, un cas d'école: à l'instar de son personnage principal, il semble nous indiquer que le cinéma Allemand n'a plus rien à perdre. Privé de la moindre censure, Robert Reinert a produit, essentiellement, un brûlot destiné à faire venir tout le monde dans les salles obscures pour un oubli immédiat. Mais un film qu'on n'est pas près d'oublier...
Le professeur Gesellius (Eduard Von Winterstein) est en Chine pour y effectuer une recherche scientifique sur les effets de l'opium en tant que médicament contre la dépression, la douleur et plus encore. Et bien sûr il est amené à fréquenter les établissements spécialisés, dont celui de l'infâme Nung-Tchang (Werner Krauss). Celui-ci a auprès de lui une mystérieuse jeune Eurasienne, Sin (Sybill Morell), qui cherche la protection du professeur... Nung-Tchang explique à ce dernier que la jeune femme est la fille de son épouse et d'un Européen de passage, et que ce dernier est parti après la mort de la mère en laissant l'enfant derrière lui. Comprenant qu'il risque de payer de sa vie le désir de vengeance de son hôte, le professeur rentre au pays en emportant Sin avec lui.
Une fois chez lui (en Angleterre, peut-être), il retrouve son monde: son épouse, Maria (Hannah Ralph), sa petite fille, et son principal collaborateur, Richard Armstrong Jr (Conrad Veidt). Maria est désolée de voir son mari revenir avec une jeune femme, et de son côté elle souhaite que le professeur ignore tout de son aventure avec le jeune Richard. Celui-ci, fils d'un autre scientifique qui a passé des années en Chine (hum) ignore donc que Sin, aussitôt rebaptisée Magdalena, est sa soeur, et enfin le Dr Richard Armstrong Sr (Friedrich Kühne), scientifique génial disparu dans les vapeurs de l'opium, refait inexplicablement surface!
Tout ça dans un montage qui ne perd pas une occasion de nous montrer les expériences avec l'opium du professeur Gesellius: immanquablement il s'agit de visions de diables lutinant des femmes à demi-nues... Environ toutes les dix minutes à l'écran. Et sinon, Nung-Tchang n'a pas dit son dernier mot, bien sûr, et va tout faire pour assumer son horrible vengeance...
Le film n'aborde ni ne rejette aucune interprétation quant à l'utilisation de l'opium: on a bien vaguement l'idée que ça flingue sérieusement les neurones, et qu'au cours du film au moins un protagoniste meurt de l'usage répété et addictif de la chose. Mais Reinert est trop occupé à réaliser son film proto-psychédélique pour essayer de faire ne serait-ce que semblant de donner des leçons... Donc il semble nous indiquer que la meilleure façon de se guérir de l'opium est d'en prendre. Et pourquoi pas s'injecter du désinfectant, tant qu'à faire?
On peut désormais voir Opium, dans une restauration éblouissante, qui met sérieusement en lumière son incroyable mauvais goût, son côté extra-terrestre, et pour finir sa glorieuse inutilité, comme un Mystery of the leaping fish qui ne serait drôle qu'involontairement... Robert Reinert avait mieux à faire, beaucoup mieux et il l'a prouvé plus tard cette même année avec Nerven.





