
Duvivier se destinait au théâtre... Mais il n'a pas pu éviter le cinéma. Sous la houlette d'André Antoine dont il avait été le régisseur et l'assistant, il a été amené à réaliser ce film qu'il a signé littéralement, à la fin, dans un geste plein de panache et de naïveté. Un film où on retrouve une certaine forme de pudeur, un pessimisme profond, mais surtout un sens inné du cinéma comme étant l'art... du bon paysage.
L'histoire est profondément embrouillée, et concerne une série de personnages qui vivent, pour certains sans le savoir, dans les conséquences d'un drame qui s'est passé plus de vingt années auparavant: un homme s'est suicidé. Pourquoi? Nous le saurons plus ou moins, grâce au drame qui va lier son ancien ami Landry Smith (Séverin-Mars), et un jeune homme qui vient chez ce dernier pour des motifs mystérieux avant de lui sauver la vie et de courtiser sa pupille...
C'est un western. Et pourtant il a été tourné en Corrèze (le département au milieu d'un triangle formé par Limoges, Aurillac et Clermont-Ferrand sur les cartes de météorologie à la télévision!), qui était alors un pays encore plus sauvage qu'aujourd'hui... Et contrairement aux films de Jean Durand tournés en Camargue, aucun effort n'a été fait pour maquiller le terrain, l'intrigue étant objectivement située sur les terres du petit Père Henri Queuille... Le tour de passe-passe était finalement assez simple: Landry Smith est lui-même Américain, et sa domestique Kate Lockwood projette en effet de voler sa fortune, et a donc fait appel à un comparse de Santa Fe, qui arrive en Corrèze au début du film avec des manières de cow-boy. C'est naïf, mais pas plus que d'habiller comme le faisait dans Un flic Melville les gangsters de 1972 de trench-coats et de les faire rouler en Cadillac pour se donner l'illusion de tourner un film noir Américain!
Car c'est bien de ça dont il s'agit pour Duvivier: montrer lui aussi un film, un pastiche des westerns qui commençaient à envahir l'écran Français, et qui avaient l'air d'avoir tout compris à ce que devaient être le cinéma. C'est d'ailleurs bien dans la manière d'un cinéaste qui allait être remarqué pour son envie de toucher à tous les genres, tous les sujets, tous les pays: Russie (Anna Karenina), Afrique du Nord (Cinq Gentlemen Maudits, Pepe le Moko), France, Canada (Maria Chapdelaine)...ou Corrèze, même combat.
La compagnie productrice de ce film, Burdigala films, était comme son nom l'indique située à Bordeaux, et Duvivier a pu faire des repérages soignés pour ce qui allait devenir le premier film de fiction de long métrage tourné en Limousin, avec des décors souvent superbes, et parfaitement en phase avec l'action: des villages et hameaux situés en pleine forêt, des routes situées sur les flancs de pentes parfois abruptes (longeant notamment les Gorges de la Dordogne avant que ne soient construits les barrages de L'aigle et d'Argentat. Certaines séquences ont également été tournées près de Bort-Les-Orgues, près de la superbe vallée de la Dordogne avant qu'un barrage ne transforme celle-ci en un gigantesque lac. Enfin, trois lieux emblématiques de la toujours sauvage région de la Xaintrie ont été mis à profit dans un magnifique final riche en suspense et en frissons: le viaduc des Rochers Noirs, aujourd'hui condamné parce que trop dangereux), les fantomatiques ruines des Tours de Merle, un site médiéval situé en pleine forêt, et les cascades de Gimel, un endroit où un bien méchant homme trouvera une fin mélodramatique à la mesure de ses crimes...
Il en ressort un film certes mélodramatiques, embrouillé, anecdotique dans son intrigue, au jeu parfois ampoulé... mais surtout un grand désir de cinéma, une sorte de rêve de film accompli.














