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29 août 2020 6 29 /08 /août /2020 17:53

Un vieil homme solitaire rentre chez lui, en plein hiver, et aperçoit dans la neige le corps d'une femme. Il la ramène chez lui, et la laisse se reposer, venant avec douceur lui permettre de raconter son histoire: elle s'appelle Joe, et raconte son hallucinante histoire, celle d'une nymphomane militante qui a découvert son super-pouvoir particulier avant l'âge de deux ans... La conversation va vite voir les deux protagonistes adopter une position tranchée, Joe avançant l'hypothèse qu'elle n'est qu'une créature maléfique, et Seligman cherchant à justifier chacun de ses pêchés...

Partagé, forcément. Un film dont la version courte dépasse les quatre heures, consacré essentiellement à une conversation illustrée de flash-backs et de digressions, entre Charlotte Gainsbourg et Stellan Skarsgaard, ça interpelle et ça donne envie au moins d'être tenté, voire défendu. C'est d'ailleurs fort bien rythmé justement par l'intimité étrange qui s'installe entre ces deux personnages, la nymphomane qui cherche à faire comprendre qu'elle se trouve ignoble et l'assume, et le vieil érudit théologien, vierge et qui réagit constamment (ou presque) aux révélations salaces les plus embarrassantes en effectuant des comparaisons avec la philosophie, la religion, la pêche à la mouche, etc... Mais voilà: c'est Lars Von Trier, et c'est ce que dans une énième provocation dont le personnage est coutumier, il avait présenté a priori comme "un porno avec Charlotte Gainsbourg". 

Le sujet justifie pleinement le recours à l'anatomie frontale, comme avant lui Shortbus ou L'empire des sens. Mais ça fait quelques années (Depuis Les idiots, films qui l'est tout autant que ses personnages) qu'il semble obsédé par le fait d'insérer des plans de vrai zizi panpan dans ses films, et de jouer avec l'image de ses acteurs et actrices (l'ont-ils fait ou pas?) en guise de publicité, qu'on en baille d'avance. D'ailleurs, et c'est à porter au crédit du film, j'avoue que le film n'a rien, mais alors rien de titillant. Mais on se demande si tous les tripatouillages auxquels s'est livré le réalisateur s'imposaient: filmage de toutes les scènes de rapports sexuels avec les acteurs (qui simulent) et avec des doublures de porno (qui y vont à l'espagnole, c'est à dire Franco), puis mélange numérique des deux sur l'écran, hop-là, personne n'y voit que du feu.

Tout ça pour avoir à la fois, comme le dirait Marlon Brando le beurre (Du cul), l'argent du beurre (des acteurs) et le sourire de la crémière ("ça alors, de vrais acteurs qui font du sexe!"): peut-être pour justifier aussi, voire adoucir les autres excès, voire provocations, dont le film fait un usage consommé... En vrac: une conversation qui oppose en permanence la religion et le sexe, pris dans sa réalité la plus crue; un avortement auto-prodigué, filmé de façon aussi directe et frontale que possible; des opinions provocatrices qui renvoient à l'obsession du réalisateur de faire grincer les dents des journalistes (Joe exprimant de la sympathie pour Hitler)... Au regard de ce fatras, les scènes truquées mais fort réalistes de sexe deviennent un véritable écran de fumée.

En dépit de ces scories, il faut reconnaître que Von Trier a au moins l'avantage de pratiquer l'humour à froid avec un certain talent, ce que le dispositif de narration distanciée sur des images crues permet toujours bien. Certaines scènes sont même hilarantes, je pense ici à la scène du sandwich (que je ne décrirai pas ici, je vous fais confiance)... La structure, je le disais plus haut, est très bien charpentée, et si je ne goûte pas l'obsession de la caméra épileptique, la façon dont l'auteur joue sur les formats, la couleurs, la chronologie, faisant agir les digressions sur la continuité, est assez emballante. Il faut aussi reconnaître que la plupart des acteurs sont excellents, et ce doit être difficile de pratiquer son métier d'acteur lorsque au fond de la pièce des gens tous nus s'apprêtent à vous succéder pour compléter le plan en s'allongeant les extrémités. Evidemment, Stacy Martin et Charlotte Gainsbourg, qui partagent le redoutable honneur d'avoir à interpréter Joe, l'une jeune et l'autre plus âgée, sont époustouflantes de bout en bout. Et il faut du cran pour certaines de ces scènes (ne serait-ce que l'épisode atroce du sado-masochisme)...

S'il est un provocateur né, Von Trier est aussi un moraliste qui s'est suffisamment fait taper sur les doigts pour en concevoir une certaine rancoeur, voire une envie de revanche; du coup il tend à se placer subtilement (ou non, d'ailleurs) du côté des accusateurs, et donne de plus en plus raison à Joe au fur et à mesure de son exercice d'auto-flagellation; il nous montre le pouvoir maléfique du sexe, à travers une scène d'ailleurs hallucinante durant laquelle une épouse légitime débarque avec ses enfants chez la maîtresse de son mari; plus embarrassante encore est la conversation qui suit la scène d'avortement, qui en rajoute beaucoup pour que le spectateur sache que c'est mal; enfin, le film met un point d'honneur à cocher toutes les cases du sexe à l'écran, avec une insistance un peu trop empressée: c'est mécanique, ces choses, à force. Du coup, au bout de ces cinq heures et quart, la question, lancinante, est inévitable: pourquoi? Ce n'est pas que le film est sans intérêt, mais... on peut vivre sans, sans aucun problème. Vous pouvez retourner à vos occupations.

 

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Published by François Massarelli - dans Zizi Panpan Lars Von Trier Mettons-nous tous tout nus