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On s’attendrait à une adaptation d’un roman noir, voire plus précisément d’un roman Américain, mais non : ce film est basé sur une idée originale de Marcel Achard qui a ensuite contribué à la rédaction d’un script en compagnie de Chenal, assisté de Jacques Companeez et Hans Juttke. Derrière un portrait fascinant de la vie nocturne, on voit en réalité trois mondes qui se côtoient, à travers quelques personnages formidables : le film est réellement fondé sur trois performances : Jany Holt est l’héroïne du film, mais elle affronte le regard d’acier d’un policier génialement interprété par Louis Jouvet et surtout, elle doit rendre un service à Erich Von Stroheim, ce qui lui coûtera cher…
Le professeur Winckler, un artiste de music-hall Américain (Stroheim), retrouve la trace d’un ancien ennemi du temps de sa jeunesse, le gangster Américain Gordon. Il l’abat froidement puis se rend chez une jeune femme pour un alibi : Hélène (Jany Holt) ne comprend pas pourquoi il l’a choisie elle, mais ne crache pas sur l’argent qu’il lui donne. Quand elle se rend à la police pour donner sa déposition, et témoigner sous serment que le mystérieux personnage a bien passé toute la nuit avec elle, elle apprend que c’est d’un meurtre qu’il est soupçonné…
Une autre intrigue va bientôt se greffer sur cette base : l’inspecteur (Jouvet) qui ne croit pas à l’histoire que lui a raconté Hélène et soupçonne qu’elle ne dise pas la vérité sous la menace de Winckler, lui tend un piège, avec un joli cœur (Albert Préjean) qui va jouer le rôle du suspect parfait tout en la séduisant : à elle de réagir et de retourner sa veste quand l’étau se refermera sur un innocent… C’est intéressant mais ce n’est pas la partie la plus importante du film, d’autant que Préjean, incorrigible, fait du Préjean ! Ses techniques de séduction ont bien vieilli…
Mais peu importe : la confrontation entre deux monstres sacrés, Jouvet et Stroheim, est un grand moment, et l’acteur Américain, en dépit de devoir donner les trois quarts de sa performance dans un langage qu’il ne comprend pas, réussit une fois de plus à voler la vedette. Il se sert même à plusieurs reprises de ce handicap pour ajouter de la véracité et mettre l’emphase sur le côté inquiétant du personnage par sa lenteur et son excessive amabilité. Jany Holt est remarquablement bien dirigée, mieux en tout cas que dans le Beethoven de Gance, et son personnage qui navigue en eaux troubles en essayant de ne pas trop se compromettre est constamment intéressant…
Et la mise en scène de Chenal, sous haute influence Américaine, est un modèle de précision et surtout de rythme, par la grâce fluide de son montage, d’ailleurs étonnamment rapide, et la façon dont il utilise les gros plans. Faut-il maintenant voir dans l’univers du professeur Winckler, médium, astrologue et télépathe dont les trucs ne seront jamais dévoilés, la patte de l’ancien metteur en scène Stroheim ? On sait qu’il arrivait souvent avec des idées, parfois saugrenues, qui étaient utilisées à bon escient par les cinéastes : Renoir a reconstruit le personnage de son officier Allemand dans La Grande Illusion grâce à cet apport par exemple. Alors quand on voit Stroheim, en plein rituel d’habillage pour enfiler une robe de chambre qui ressemble à la bure d’un moine inquisiteur, on ne peut s’empêcher de lui attribuer, quand même, une petite partie de la mise en scène… Ce qui n’enlève rien au talent de Chenal, dont c’est, il est vrai, l’un des meilleurs films…
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