
Alimentaire? Contractuel? ou un caprice d'auteur? On se perd en conjectures sur ce qui a bien pu amener Sidney Lumet, respecté cinéaste habitué des grands et gros sujets, vers une adaptation d'un roman d'Agatha Christie, une adaptation qu'il aura accomplie si fidèlement que la romancière elle-même sera aux anges...
Le roman est donc globalement respecté avec minutie, on assiste donc à ce voyage fatal d'une quinzaine de personnes coincées dans l'Orient-Express en 1935, soit cinq années après les faits exposés dans un prologue, à savoir le kidnapping d'une petite fille aux Etats-Unis, la fille unique d'un as de l'aviation Britannique. Un kidnapping qui a fini dans le drame, puisque après versement de la rançon, on a retrouvé le cadavre de la petite.
Evidemment le cinéma ne pouvait que se saisir d'un tel scénario, avec sa pléiade de stars: quinze personnes dans un huis-clos c'est l'idéal pour convoquer des acteurs passe-partout, si possible aimés du public...
Albert Finney, Martin Balsam, Ingrid Bergman, Vanessa Redgrave, Jacqueline Bisset, Michael York, Jean-Pierre Cassel, Colin Blakely, Sean Connery, Rachel Roberts, John Gielgud, Anthony Perkins, Richard Widmark, Wendy Hiller et Lauren Bacall: on est servis!
Beaucoup de ces personnages seront donc des passagers lambda (quoique...), l'un d'enre eux sera assassiné, et l'un d'entre eux (Finney) étant Hercule Poirot, il y aura une enquête à l'issue de laquelle on trouvera le coupable, et on assistera donc à une de ces irritantes réunions de coupables à la fin. C'est vrai, c'est irritant généralement, ces moments où le détective montre quel a été son raisonnement, et on sait que l'une des personnes a tué! C'est un des (nombreux) clichés que Christie utilisait beaucoup, et il y en a d'autres...
En fait, toute critique du film devient presque impossible: Lumet a conditionné sa mise en scène à trois aspects: d'une part, la nécessité de faire passer qu'on est dans un train dont on ne sortira jamais. Ensuite, il y a là de grands acteurs, donc autant de susceptibilités à préserver, sans pour autant que ça vire au défilé: c'est de ce point de vue très réussi. Enfin, il a adopté un style volontiers suranné, une sorte de mise en scène à la manière des années trente, aussi bien esthétiquement, que dans le jeu des acteurs...
Et c'est là qu'on entre probablement dans le domaine du méta-film, qui me permet d'énoncer une autre hypothèse: c'est un film sur la mode rétro au cinéma, c'est un film qui expérimente avec le sur-jeu sur-signifiant de son personnage principal (Finney en fait des tonnes, et ça marche! c'est dire à quel point Poirot est un personnage intéressant pour un acteur!), et les excès en tous genres, à commencer par ce parfum de Britannicité extrême qui ne peut que se détacher du film, avec le conservatisme de ses personnages...
Pour finir: ça se voit, bien sûr, ça se boit même comme du petit lait, et quand vous connaissez la solution (c'est le majordome qui a fait le coup), c'est un plaisir monumental de revoir le film pour repérer à quel point on vous donne la solution, et pas qu'une fois: du début à la fin du film...