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6 décembre 2020 7 06 /12 /décembre /2020 08:34

Trois amis, des Allemands, sont sur le front durant l'année 1918: aucun espoir ni de victoire, ni même d'armistice: pour eux, l'enjeu est surtout de survivre, entre deux permissions à l'arrière, ou deux occasions de souffler sur le front: par exemple, le plus jeune d'entre eux est amoureux d'une petite Française qui est stationnée dans les environs, et un autre, Karl (Gustav Diessl) a hâte de retourner chez lui pour revoir sa mère et son épouse... 

C'est le premier film parlant de Pabst et il y transpose ce qui a fait sa marque de fabrique depuis La Rue sans joie: un réalisme coup de poing, une réalité bien sûr transposée et organisée, mais qui est bien loin des manipulations de l'expressionnisme. Ce qu'on a appelé alors "la nouvelle objectivité, en l'occurrence, pouvait-elle se marier avec les exigences et contraintes du cinéma parlant, si peu efficace en ces années balbutiantes? Il le démontre avec un talent fou: oui, c'était possible! comme Lang qui l'année suivante va marquer les écrans avec M, dans un style radicalement différent, Pabst déploie une inventivité de tous les instants, et semble complètement s'affranchir des pesanteurs de la technique. Non seulement son film est parlant et sonore, mais en plus il a aussi souvent que possible été tourné en extérieurs, avec une caméra mobile. Le metteur en scène y combine en permanence prises de vue en studio avec son direct, prises de vue extérieures post-synchronisées avec adresse, et même des scènes tournées en extérieur en son direct, indispensables à son propos: ces nombreux moments où les tranchées sont soulevées par les attaques ou les explosions. Et la caméra balaye les tranchées au moment des assauts, dans un réalisme toujours tragique, car il n'y a aucune glorification de l'héroïsme là-dedans...

A l'arrière non plus, ce n'est pas rose. Pabst retrouve ici les accents sordides de sa peinture de la pauvreté ordinaire de la période de l'inflation dans Die freudlose Gasse: quand Karl rentre chez lui, il croise en effet une queue formée devant un magasin dont certains clients se plaignent d'avoir attendu toute la journée, et il va en arrivant à son appartement comprendre que sa vie ne tient plus à grand chose, quand en entrant dans sa chambre il trouve sa femme au lit avec, justement, le garçon boucher... C'est le portrait d'une Allemagne en totale perdition, où plus rien ni personne ne fonctionne: à l'antipode de la propagande nazie, qui prétendait que l'Allemagne et ses soldats avaient été trahis par l'arrière... Non, tout le monde souffrait dans ce conflit, nous montre le metteur en scène.

C'est que Pabst n'a pas abandonné son point de vue critique, celui d'un social-démocrate avec une sympathie pour la cause communiste (ce qu'il n'a par ailleurs jamais été, et ce qui le sauvera durant les années du nazisme, quand il se verra coincé en Bohême sans possibilité de sortir du territoire Autrichien); et comme de juste, le film accompagne la peinture réaliste de la guerre, proche des magnifiques films de Vidor, Wellman, Bernard ou Milestone, d'une solide dose de pacifisme militant. Il y montre des soldats qui ne cèdent jamais aux sirènes du nationalisme (contrairement aux films français guerriers muets qui eux y cédaient en permanence), qui fraternisent avec une cantinière française (Jackie Monnier) sans jamais se comporter en occupants, qui s'inquiètent d'entendre au loin la plainte d'un soldat français mourant: ça aurait pu être l'un des leurs...

On retrouvera dans la dernière séquence du film qui voit deux soldats ennemis, l'un mourant l'autre mort, main dans la main dans un hôpital de fortune, cette solidarité humaine, qui dépasse les camps, les frontières et les barbelés, et qui sera l'objet d'un beau film l'année d'après, le surprenant Kameradschaft (La tragédie de la mine) qui montrera l'entraide déployée sur une mine partagée entre l'Allemagne et la France, par les mineurs d'un pays pour venir à la rescousse de leurs collègues transfrontaliers. en attendant, il a réussi avec ce beau film de la guerre, l'une des très grandes oeuvres qui y ont été consacrées...

 

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Published by François Massarelli - dans Georg Wilhelm Pabst Première guerre mondiale