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10 janvier 2021 7 10 /01 /janvier /2021 09:18

A Boston, nous faisons la connaissance de Martha et Sean; elle est cadre et il travaille dans le bâtiment: il est en pleine construction d'un pont dont les images de l'évolution, mois après mois, vont rythmer le film. Ils attendent un enfant, et la famille proche de Martha (sa soeur et sa mère) sont aux petits soins avec elle, même si ça n'exclut pas les tensions: c'est que la mère n'aime pas vraiment Sean, et le lui fait sentir aussi souvent que possible... Au terme de cette exposition, nous allons assister à un accouchement à la maison, filmé dans un plan-séquence épuisant durant approximativement 20 minutes: ça ne se passe pas bien du tout. D'une part Martha a mal, très mal; ensuite la sage-femme prévue ne peut se déplacer et envoie une remplaçante; enfin au terme du processus le bébé est tout bleu et...

Mois après mois, le film va donc nous raconter les suites de la mort d'un enfant pour deux personnes, avec un accent très fort sur le point de vue de la mère, de celle du moins qui aurait du l'être. Sean n'est pas exclu du film pour autant, mais sa part dans le processus de désintégration du couple qui s'ensuit, est importante. Surtout, c'est le parcours en solitaire dune femme qui tente de comprendre ce qui vient de lui arriver, et qui survit à un traumatisme sur lequel tout le monde, semble-t-il, a un avis: et c'est impossible de faire coïncider ces avis: celui de la mère, par exemple, est sans appel: sa fille est responsable parce qu'elle aurait du aller à l'hôpital; et bien sûr la sage-femme doit payer; Sean ne culpabilise pas sa femme, mais a une manière à lui, et généralement en porte-à-faux avec celle de son épouse, de tenter de faire son deuil. Ca passera par de moins en moins de communication, des vexations, de la frustration et un adultère. Martha, elle, vit ces quelques mois comme une errance...

C'est très fort, et avec un tel sujet, aussi lourd, on ne s'attendait pas à un tel film. Le script de Kata Weber est basé sur une histoire vraie, la sienne. C'est parce que Kornel Mundruzco et elle ont perdu leur enfant qu'ils ont pris la (difficile, on imagine) décision de "le faire vivre" dans cette histoire. Mais le réalisme de ce film est sans appel: la petite fille ne survivra en effet pas à l'accouchement. Venus du théâtre tous les deux, ils ont privilégié un rapport direct aux acteurs, d'où une forte proportion de caméra à l'épaule et de plans-séquences; ce qui n'empêche pas une structure basée sur des petits riens qui vont lier le film au delà de ce symbole structurel du pont qui finira enfin par relier deux rives à la fin du film... Des petits mystères par exemple, comme cette soudaine obsession des pommes, que Martha porte à son nez pour les sentir, dans un magasin, avant de décider de faire germer des graines. On en verra l'effet à la fin du film... Ou encore les deux ou trois flashes d'appareil photo qu'on verra durant la scène de l'accouchement, qui finiront par avoir une incidence. Enfin, les ennuis d'argent fil rouge des plus négatifs, rythment de plus en plus les rapports désagréables entretenus par Sean et sa belle-mère, qui s'excluent de plus en plus du deuil de Martha.

Les acteurs sont fantastiques: Shia LaBeouf va au bout de son rôle de "mouton noir" de la famille, et il incarne un homme corpulent, dont le ressenti semble très physique... Ellen Busrtyn est la mère, qu'elle joue avec tout le conservatisme d'une dame de la bonne société Bostonienne, qui juge en permanence, et pas que son gendre: ses filles se passeraient bien de ses avis sur tout... Enfin, une mention spéciale pour deux femmes: Molly Parker incarne le difficile rôle de la sage-femme, celle sur laquelle les soupçons des braves gens se portent, et qui est la victime d'une impressionnante chasse aux sorcières; désignée coupable, mais pas par le script: la confrontation en justice se conclura sur une belle épiphanie; Vanessa Kirby qui incarne Martha tient tout le film sur ses épaules, avec la puissance de son interprétation, physique, au plus près de son corps et de ses yeux: le film ne s'appelle pas Pieces of a woman pour rien, et évoque toutes les options du deuil, mentales comme physiques... Elle est magnifique.

 

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Published by François Massarelli - dans Canada