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Pour commencer, Ravel travaillait souvent en collaboration étroite, exclusivement avec Tony Lekain à la fin de sa carrière. D'où une certaine ambiguité sur l'auteur: des filmographies attribuent en vérité ce film à Lekain et Ravel... Ce dernier est pourtant le principal maître d'oeuvre, une maîtrise acquise depuis son arrivée à la Gaumont au milieu des années 10, quand il avait a rude tâche de remplacer Louis Feuillade, principal pourvoyeur de films de la firme à la marguerite, parti au front... Ravel n'est pas Feuillade. Il n'est pas non plus Feyder, autre cinéaste avec lequel il a travaillé en collaboration, mais qui lui a volé de ses propres ailes dès 1916! Mais Ravel a un savoir-faire évident, qui le confine parfois à l'académisme, et parfois, va un peu plus loin: c'est le cas de ce film paradoxal.
Paradoxal, parce qu'un film muet adapté de Beaumarchais, c'est inattendu. Mais Murnau a bien fait l'un de ses films les plus attachants avec le Tartuffe de Molière! Donc Figaro est une comédie, qui utilise pour chacun de ses actes une pièce de la trilogie de Beaumarchais: Le Barbier de Séville occupe donc la première partie, Figaro le barbier (Edmond Van Duren) aide le comte Alma-Viva (Tony D'algy) à conquérir le coeur de la belle Rosine (Arlette Marchal); puis il entre à leur service dans la deuxième partie (Le Mariage de Figaro), où il lui faut empêcher le comte, polisson notoire, de porter à son tableau de chasse sa propre fiancée Suzanne (Marie Bell) également à leur service. Durant cet acte nous voyons les contours de l'idylle entre la comtesse délaissée et le jeune Don Chérubin qui sera par précaution envoyée guerroyer au loin par le comte. Au début de la troisième partie (La mère coupable), Chérubin meurt, et expie son péché... Sauf qu'il y a un enfant, et u'il n'est pas du comte... Profitant de l'arrivée d'un intrigant qui a des vues sur tout ce qui porte jupon, Figaro enfin marié réussit à empêcher le comte d'envoyer son épouse au couvent...
Bref, c'est Figaro sans aucune matière grasse politique, ni sentiment pré-révolutionnaire. Et ça passe très bien parce que Ravel a gardé toute la dimension amoureuse, le jeu sur le désir, sur les tractations, aventures, machinations, déguisements, dissimulations, etc... intacts. Si Figaro et dans une moindre mesure Suzanne ne sont plus les représentants d'une lutte sociale, ils restent les observateurs, et parfois les acteurs de l'amour et du désir... Et à ce titre, le film se rapproche de Lubitsch, qui n'était pas le dernier à utiliser les domestiques pour nous compter la polissonnerie de leurs maîtres... Et Figaro, surtout dans les deux premières parties, est joué par un danseur, et ça se voir de suite, Ravel utilisant à merveille sa capacité à bondir de scène en scène, et sa gestuelle est ce qui va durant tout le film apporter le mouvement...
Les autres acteurs sont bons, mais force reste aux femmes, Marie Bell en tête, qui est une Suzanne aussi ingénieuse que son fiancé, même si à un moment, on la sent prête à succomber aux avances de son fieffé coquin d'employeur le comte... Dans ce film surprenant, les femmes en prennent un peu pour leur grade et les hommes, comme chez Murnau, se font facilement déshabiller, c'est ainsi. Remarquez, il y a du déshabillage pour tout le monde! Selon la tradition établie dans les années 20 et souvent respectée (voyez les films de Gance, ou des oeuvres comme Casanova de Volkoff, L'enfant du Carnaval de Mosjoukine, ou encore Mandrin de Fescourt), on figure la tendance d'une caste à l'orgie et à la débauche en proposant des petits spectacles sans queue ni tête (si j'ose dire), dans lesquels on déshabille les figurantes à tour de bras: ici, c'est au début de la deuxième partie que des bacchantes inconnues et dévêtues pataugent dans un petit bassin sous l'oeil ravi et coquin du comte et de sa cour... Après cela, c'est sans transition que j'ajouterai que par ailleurs, les costumes, quand il y en a, sont fort bien exécutés...
Enfin, Ravel n'est pas Murnau, il n'a pas un Karl Freund sous la main, et ce n'est pas Eisenstein non plus... Donc il n'y aura pas ici de prouesse de montage ni de caméra ultra-mobile. Il y a juste une mise en scène sensée, qui fait merveille de l'espace, et qui a la lourde tâche de suivre le bondissant Figaro d'une scène à l'autre, la scène étant ici un terme à prendre dans ses deux sens... Bref, une excellente surprise, pour un film qui n'est certes pas le chef d'oeuvre de la période mais qui se défend fort bien... surtout dans ses deux premières parties, et qui a le bon goût rare de ne pas durer trop longtemps, quand on connaît la propension du cinéma Français de l'époque à faire durer le plaisir au-delà du raisonnable... A déguster dans un blu-ray tout nouveau tout beau, effectué sur la base d'une copie magnifique.
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