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Le trou, d'abord, c'est la prison: finir au trou, dit-on. et puis après ça devient, bien, sûr, juste un vrai trou, celui que des prisonnier creusent afin de s'évader. Enfin, on pourrait aller plus loin, et parler d'un trou qui représenterait les aspirations déçues, quand on creuse pour n'obtenir au final, rien du tout. Enfin, c'est le trou qui nous attend tous, sans doute, sorte de représentation sardonique du destin... On le voit, le dernier film de Becker est riche, profond, et parfaitement philosophique: il éclaire sans doute tellement bien son penchant pour les histoires d'hommes qui finissent par une trahison (voir l'ensemble de ses films) qu'on le prendrait facilement pour étendard de toute sa carrière...
Claude Gaspard (Mark Michel) arrive à la Santé, en préventive. Il est accusé par son épouse d'avoir voulu la tuer, lui, sa version est différente. Ils se sont disputés, il voulait lui enlever le fusil des mains, le coup est parti... Elle n'est que légèrement blessée, lui est passible de 5 à 10 ns de prison, puisque le fusil était chargé, on considère qu'il y avait préméditation. Dès le départ, on s'attache à ses pas, et ce sera lui le personnage central, le Candide, par lequel le reste de l'intrigue sera vue et entendue. Et comme il sera le seul "bleu" dans une cellule autrement occupée par des criminels endurcis, ce sera bien pratique...
Les autres, ce sont des voleurs et des meurtriers, on ne saura jamais totalement ce qu'ils ont fait, on saura juste que deux d'entre eux risquent gros, très gros: on parle d'une menace de guillotine. Tous sont en préventive... Jo (Michel Constantin), Manu (Philippe Leroy), "Monseigneur" (Raymond Meunier)... et Roland (Jean Kéraudy),le roi de l'évasion, celui qui va superviser toutes les phases d'une évasion savamment orchestrée. Tous ces hommes ont été choisis parce qu'ils ne sont pas tous acteurs, et qu'aucun n'est une vedette...
Venu de nulle part, du monde des gens honnêtes pour se retrouver à la Santé, Gaspard va se sentir tellement chez lui dans cette cellule, qu'il va adhérer au projet. Au projet et aux hommes... Seulement pendant ce temps, le monde va continuer à tourner à l'extérieur.
Becker voulait des inconnus pour son film, adapté d'un roman de José Giovanni, qui lui-même retraçait une anecdote réelle: l'évasion ratée en 1947 d'un groupe de détenus. Parmi eux, José Giovanni, et Roland Barbat, dit Jean Kéraudy...
Le monde de la prison en 1960 nous est raconté sans fards, en se concentrant sur la journée et le quotidien d'un taulard à cette époque, sur les rapports compliqués, d'une part entre l'administration et les gardiens, d'autre part entre les détenus et leur co-détenus... Des scènes entières sont dédiées à ces petits riens, ces vexations du quotidien, comme la fouille systématique de toutes les denrées qui sont envoyées de l'extérieur: le beurre, le savon, le saucisson, le gâteau de riz, tous ouverts, massacrés, mis en morceaux, écrasés par l'administration pénitentiaire pour y chercher des objets interdits...
Et sinon, le gros du film se déroule dans la cellule où les prisonniers attendent leur jugement, et où ils préparent leur départ, une évasion qui cette fois aurait bien pu réussir: minutieusement préparée par un cerveau de la chose, le taciturne Roland, dont les gestes sûrs trahissent à quel point il sait de quoi il est question. Il y a un peu de la manière de Howard Hawks dans la façon dont Becker nous montre le travail des hommes. Sauf que chez lui, le travail est souvent dénué du lyrisme que lui donne le metteur en scène Américain... Mais ce qui frappe, c'est bien sûr à quel point le suspense habite chaque action des occupants de la cellule, unis dans leur but commun. Nous sommes, dès le départ, avec eux et contre le reste du monde... Et l'identification, devant ces hommes courageux et unis en apparence comme les cinq doigts de la main, est immédiate. Le suspense qu'elle engendre culminera dans une scène formidable, dans un plan extraordinaire, auquel Becker nous aura savamment préparés durant plus de deux heures haletantes...
Mais derrière le code des hommes, les obligations du quotidien, le partage systématique, l'honneur et la fraternité, il y quand même le fait qu'à la fin, l'un de ces hommes trahira. On le sait très vite, remarquez, et on se doute d'où viendra la trahison. On pense souvent à La Grande Illusion, mais sans le bagage idéologique du film de Renoir. Mais on se rappelle de ce que disait le personnage de Pierre Fresnay: une prison, ça sert à s'évader. Eh bien chez Becker, on ajoute que dans une affaire d'honneur comme l'évasion de ce film, il y a forcément un traître...
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