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2 juin 2021 3 02 /06 /juin /2021 09:30

Deux faits aussi navrants l'un que l'autre, et sans aucun rapport l'un avec l'autre, vont se télescoper: Suze Trappet (Virginie Efira), coiffeuse, apprend d'un médecin bredouillant que les cosmétiques utilisés dans son métier lui ont refilé une maladie mortelle, et incurable. Effondrée, elle prend une décision: avant de mourir, elle va retrouver la trace de l'enfant qu'elle a eu 28 ans auparavant, et qu'elle a sous la pression de ses parents abandonné pour adoption; de son côté, Jean-Baptiste Cuchas (Albert Dupontel), informaticien surdoué à la sociabilité plus que perfectible, apprend qu'il va devoir laisser la place à des petits jeunes, à la demande de ses supérieurs...

Ce qui va les rapprocher, c'est que Cuchas travaille dans l'administration sociale, et quand il tente de se suicider, son bureau est juste à côté du cubiculum où Suze tente d'obtenir d'un fonctionnaire morne et mécanique une aide pour retrouver son enfant: quand il se rate, Cuchas tire avec une grosse carabine, par erreur, sur l'infortuné gratte-papier. Pour les deux losers, c'est le début d'une cavale: Suze demande à Jean-Baptiste d'utiliser sa science de l'informatique afin de retrouver son fils perdu, et Jean-Baptiste attend de Suze qu'elle témoigne du fait que son geste était bien une tentative de suicide, et non une chaotique forme de protestation terroriste et meurtrière... Ils seront aidés dans leur périple par deux autres perdants, le Docteur Lint (Jacky Berroyer), obstétricien atteint d'Alzheimer, et Serge Blin (Nicolas Marié), un ingénieur EDF qui a perdu la vue...

Dédié à Terry Jones: le grand universitaire Gallois, écrivain, cinéaste, comédien, auteur dramatique, spécialiste reconnu de Chaucer, et membre à vie (et à mort) des Monty Python, est décédé au début de la triste année 2020, et Dupontel qui a souvent travaillé avec lui (c'était lui qui jouait Dieu dans Le créateur) lui rend ainsi hommage... Pourtant c'est à l'univers d'un autre Terry, tout aussi Monty mais beaucoup moins Gallois, que le film fait penser. D'ailleurs Gilliam est lui aussi un mentor de Dupontel, auquel il a fait l'amitié d'accepter de participer avant ce film à Enfermés dehors, et 9 mois ferme. Ici, il participe, en quelque sorte, de deux façons: d'une part il joue un petit rôle, propice à déclencher l'hilarité, je vous laisse découvrir par vous même; et d'autre part son univers de cinéaste a servi de matrice à ce septième long métrage de Dupontel, et par au moins trois détails. Enfin, "détails", c'est un mot un peu vague: d'abord, il y a ici un acteur qui joue un rôle, celui d'un certain M. Tuttle, ce n'est sans aucun doute pas un hasard, quand on sait que Tuttle est l'un des personnages-clés de Brazil. Ensuite, Dupontel utilise le décor, lors de la scène du suicide chaotique, pour citer l'ambiance de Brazil, justement: les tuyaux en plastique à poubelle qui pendouillent du plafond, les fils électriques en grappe, tout renvoie à la fameuse scène de l'appartement envahi par les matières fécales dans le film de science-fiction de Gilliam. Enfin, le propos des deux films est étrangement similaire, avec dans les deux la fuite en avant de deux personnes, un fonctionnaire associable et gauche, et une jusqu'au-boutiste condamnée à plus ou moins brève échéance. Et les deux films sont d'imposantes radiographies d'un monde en déliquescence...

Ce qui ne veut pas dire, d'une part, qu'Adieu les cons soit un plagiat, absolument pas, et on en est très loin. On est plus devant un hommage structurel, à la façon dont les frères Coen, par exemple, revisitent les genres en se servant de films comme modèles dont ils vont refaçonner les contours: The big sleep, d'Howard Hawks, pour The big Lebowski, ou encore Sullivan's travels de Preston Sturges pour O Brother where art thou?... Et d'autre part, ce n'est pas parce que le film de Dupontel se veut une charge d'un monde en pleine détresse émotionnelle, que l'on n'y rigole pas, au contraire... Les gags pleuvent, et c'est du grand luxe: bien sûr, il y a des répliques superbes, cette obsession du cinéphile français qui n'a pas toujours compris que le film c'est aussi de l'image (Dupontel: "Comment il va, M. Dupuis?"; Efira: "Moyen"; Dupontel: "Moyen mort, ou moyen vivant?"); évidement, le film repose aussi sur le concours d'une troupe d'acteurs qui reviennent de film en film avec le metteur en scène: Marié, déjà cité, Michel Vuillermoz formidable en psychologue du ministère de l'intérieur, et Philippe Uchan qui interprète le supérieur de Cuchas, il s'appelle Kurtzman (et ça aussi c'est une piste), et il est incapable de prononcer "Cuchas"; le médecin au début n'est autre que Bouli Lanners, et il est royal... Normal: il est belge! Non, le plus beau, c'est l'abondance d'humour physique, donc visuel, et l'énergie formidable qui se dégage du film, monté sans un poil de graisse. De plus, les deux acteurs principaux, qui doivent constamment évoluer du tragique vers le comique, dans un seul souffle, sont superbes, et j'applaudis enfin Virginie Efira qui cette fois m'a plus que convaincu.

Je parlais du rythme soutenu... C'est pourtant une fable, comme Brazil, et des plus cruelles; le portrait du monde dans lequel nous vivons, et où l'ironie du sort a fait qu'au moment de sortir, le film a du se prendre une pandémie internationale dans les dents, est sans équivoque: on vit mal, le nez dans des portables (pour ceux qui en ont, car il y en a), on ne sait plus communiquer, la preuve les noms sont d'une grande difficulté à retenir; on remplace le vieux qui a fait ses preuves (Jean-Baptiste ou les quartiers d'île-de-France) par du jeune clinquant et du style moderne; les administrations sans aucun lien apparent avec la réalité, les policiers, les DRH: tout le monde fonctionne au protocole, et pour se faire aider, on n'a plus que deux ressources: le système D, et... les faire-valoir à la fois minables et sublimes: le Dr Jacques Lint ("Jacques... c'est moi?") à la fois reflet d'une époque nostalgique et symbole de l'oubli par sa maladie, et bien sûr l'archiviste aveugle, source inépuisable de gags potaches, interprété par Nicolas Marié: il n'empêche, cet handicapé un peu dragueur, un peu veule, va se conduire en héros... et se cogner dans à peu près tout et tout le monde, aussi, car on est dans une comédie.

Oui, mais une comédie noire, qui touche juste, qui a un message tout simple: et si on levait la tête et qu'on s'aimait. Ca ne va pas loin? Parce que "traverse la route, tu vas en trouver du boulot", ou "suicidez-vous", "il y a ceux qui ne sont rien", ou "la république, c'est moi", ça va loin peut-être? Non, c'est bien une comédie, mais elle vise juste et à la fin, 

Non, voyez-le, c'est une merveille.

 

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Published by François Massarelli - dans Albert Dupontel Comédie Terry Gilliam Virginie Efira