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6 juin 2021 7 06 /06 /juin /2021 17:51

1836: vers la fin de la révolution Texane pour sortir le territoire de l'influence du Mexique et installer une République, un assaut des armées mexicaines sur la mission Alamo, tenue par une poignée de soldats Texans, va se solder par la mort de ces derniers... Et le renouveau d'un fort sentiment de revanche nationaliste du futur 48e état des Etats-Unis, après le traitement qu'auront subi les défenseurs. 

Justement, combien? On ne sait pas exactement tant la bataille de Fort Alamo est passée dans la légende. Entre 180 et 280 soldats, mercenaires, volontaires et d'autres seraient morts au fort, et bien que parmi les décès il y avait un certain nombre de figures majeures de l'histoire Américaine (dont bien sûr l'éternel héros Davy Crockett, symbole de la Frontière avant que le Far West ne vienne compliquer les choses), il est aujourd'hui bien difficile de démêler les faits de la légende en ce qui concerne cette bataille, érigée de nos jours en cause nationaliste et patriotique célèbre: au Texas, comme aux Etats-Unis.

Que John Wayne ait voulu en faire un film, et ce dès 1945, était évidemment compréhensible dans ce contexte: l'acteur-producteur ne faisait justement pas mystère de ses idées patriotiques et multipliait les productions guerrières dans lesquelles il expiait, en officier de plus en plus gradé, sa non-participation au deuxième conflit mondial... Mais Alamo s'est vite transformé en obsession personnelle, au point d'en faire une affaire de famille: au fil des années il s'est décidé à en être le metteur en scène, et il a travaillé sur le script avec James Edward Grant, un de ses scénaristes préférés; par dessus le marché, le jeune fils Patrick est arrivé sur le projet pour effectuer des recherches historiques...

Mais relisez plus haut: le mot "historique" sera difficile à maintenir, tant la légende a pris le pas sur la vérité. Ecoutons donc le vieux John Ford, dans ces conditions, et admettons que puisqu'on ne sait plus très bien, autant "imprimer la légende": s'il y a bien un point sur lequel les historiens aujourd'hui s'accordent, c'est sur le fait que le film de Wayne est tout sauf historique!

Incidemment, Alamo participe à la mode de ce que j'appelle le filmouth, des oeuvres démesurées qui entendent faire concurrence à la télévision par leur abondance de grands et gros moyens... Et ça ne va pas très bien se passer puisque comme Cleopatra trois ans plus tard, le film de Wayne va subir des coupes et des recoupes, sortant en version exclusive (202 minutes) d'abord puis en version rabotée pour l'exploitation principale (167 minutes): c'est cette dernière version qui est aujourd'hui considérée comme officielle, alors que les fans lui préfèrent l'autre... J'y reviendrai.

Nous suivons donc les deux semaines qui précèdent la fin de la bataille, avec l'état des lieux du général Sam Houston (Richard Boone) qui confie le sort du fort à deux troupes disparates: l'armée régulière du colonel Travis (Laurence Harvey), et les volontaires civils du colonel Bowie (Richard Widmark); la raison d'être du futur siège est plus ou moins noyée dans le flou qui entoure le conflit, savamment entretenu par les dialogues abstraits et fatalistes de Grant. Les deux colonels seront bien vite rejoints par un autre, le trappeur du Kentucky, ancien député, venu avec ses troupes et ses bonnets de raton laveur, Davy Crockett (John Wayne): le grand acteur voulait interpréter le rôle de Houston, mais a du accepter d'incarner un personnage de premier plan pour satisfaire les commanditaires de la United Artists, qui se voyaient mal promouvoir un film de John Wayne dans lequel celui-ci ne serait apparu que sur un dixième du spectacle! Le rôle lui convient parfaitement, d'autant que Crockett n'était plus tout jeune au moment des faits, et le metteur en scène a été très scrupuleux: son personnage ne sera pas le dernier à passer de vie à trépas.

Oui, c'est comme le Titanic: Alamo, tout le monde meurt, on le sait très bien, il n'y avait pas moyen d'y échapper! C'est même un de ces "échecs sublimes" qui poussent les Américains à s'exalter, ce qui est sans doute la raison pour laquelle ces grands enfants ont si longtemps été si attirés par la cause indéfendable du Sud dans un autre conflit qui s'est soldé par un ratage grandiose: la guerre Civile du Sud contre le Nord, dite Guerre de sécession par chez nous. D'ailleurs Bowie, dans le film est discrètement mais sûrement propriétaire d'un esclave, un vieux majordome qui lui est dévoué corps et âme. Ce n'est bien sûr jamais dit, pas plus que n'est expliquée la présence sur le fort d'un petit garçon noir, qui colle aux basques de la fille du sous officier interprété par Ken Curtis. Je ne pense pas qu'il s'agisse ici de message subliminaux envoyés à la droite de la droite, mais plutôt d'une certaine forme d'image d'Epinal Hollywoodienne, qui avait la peau dure: les esclaves heureux et bien traités, qui déclenchent immédiatement des larmes dans les yeux de ceux qui observent leur dévouement.

Cet échec sublime est l'occasion pour Wayne, très bien secondé par Grant, de décocher quelques flèches à l'égard des dangereux ennemis de l'Amérique éternelle: comme il le fera de plus en plus, l'acteur se lance dans une diatribe enflammée sur la République, pour justifier l'intervention de Crockett (qui, à propos, était Démocrate!) à Alamo. Le patriotisme "larmes aux yeux" est un des fils rouges du film, et c'est à ce niveau qu'on voit bien que la version intégrale, celle de l'édition "roadshow", est nettement plus équilibrée que la version plus communément disponible. Dans cette version courte du filmouth (oui, à 167 minutes, c'est une version courte), les passages qui ont été supprimés y ajoutent une grande part (parfois redondante, mais passons) d'humanité simple, de chaleur humaine, et ça a tendance à tempérer les délires patriotiques, tous plus ou moins maintenus dans la version courte: notamment le dialogue entre Ken Curtis, Joan O'Brien (qui joue son épouse) et Laurence Harvey: les Mexicains autorisent le départ des épouses et des enfants, mais l'épouse du capitaine Dickinson décide de rester, parce que c'est son 'devoir d'épouse de soldat'. C'est tourné assez frontalement, et on hésite entre la gêne et l'admiration... Mais cette dernière n'est rendue possible que dans la version longue, tant la version courte réduit les scènes de vie au fort à la portion congrue, les personnages finissant par devenir un peu plus des vignettes.

Dire que le film est une réussite serait une exagération, mais ce n'est pas le désastre qu'on a parfois un peu facilement voulu décrire... Il y a ici un tour de force, celui de maintenir l'intérêt sur trois heures alors qu'on connaît tous la fin! Et la chaleur décrite plus haut, la façon dont les discussions parfois enflammées débouchent sur une sorte d'oecuménisme politique, la clarté des scènes, toutes sont bien évidemment traitées de façon frontale et linéaire par Wayne: son inspiration thématique vient de Ford, mais son admiration de la ligne claire d'un Howard Hawks est évidente dans le film. Et il ne perd pas de vue le grand spectacle non plus, la façon dont la bataille finale est amenée est très impressionnante. Dans les scènes domestiques, ou de comédie, qui précèdent les batailles finales, Wayne n'est pas aussi brouillon que Ford à la même époque, il se retient, et garde une vraie rigueur... Il y a des longueurs, mais il n'y a pas de gaucherie ici, juste une certaine efficacité, accompagnée d'une vision qui se situe, aussi souvent que possible, en hauteur: car dans le fort qu'il a fait construire, le metteur en scène / producteur / acteur s'est plu à placer sa caméra au plus haut pour tirer des vues d'ensemble d'un fort attaqué par mille mexicains en vert, rouge, et bleu, et défendu par de patriotes en loques. De voir au milieu de cette armée de figurants lointains la toque en raton laveur du grand Davy Wayne reste impressionnant, à notre époque de facilitation de tout et de n'importe quoi par le numérique. Bref: c'est du spectacle, et du grand. Un moyen de passer trois bonnes heures (ou moins si on le veut) en compagnie d'un échec grandiose, qui participe à sa façon de l'esprit Américain.

Pour finir, tordons le cou à une légende: non, John Ford n'est pas le réalisateur officieux du film: il a bien tenté de s'incruster, mais selon certains témoins Wayne lui aurait confié la réalisation de scènes factices pour garder le contrôle sur son film. D'autres, notamment des acteurs qui ont survécu au film et participé au tournage d'un documentaire rétrospectif en 1992 (notamment Ken Curtis, mais aussi Linda Cristal qui interprétait le rôle féminin principal), ont non seulement attesté que des séquences tournées par Ford ont intégré le montage final, mais en ont en particulier cité des exemples bien spécifiques, images à l'appui. Curieusement, le vétéran s'est investi sur des détails, des micro- expressions dans des scènes intimes, pendant que Wayne se concentrait sur l'énormité de la production... Mais au vu du film, justement, c'est ce dernier aspect qui finira par l'emporter. 

C'est donc ce film qui nous est restitué aujourd'hui, tant bien que mal: les fans continuant à réclamer des années durant la version longue, elle est mise à notre disposition dans deux sorties HD en région B: dans les deux la version longue est un bonus, mais dans la version Allemande (présence de sous-titres Anglais et Allemands, pas de français), au moins ça a été fourni respectueusement, en 720p, en 16/9, ce qui n'est semble-t-il pas le cas de l'édition française. 

 

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Published by François Massarelli - dans Western John Wayne Filmouth