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26 août 2021 4 26 /08 /août /2021 09:58

Jean est un soldat qui arrive, de nuit, en catimini, au Havre. Il est secret, chatouilleux et se tient à l'écart du monde... Mais si son projet est de quitter la France, car il est déserteur, il va vite constater que là où il est arrivé, il a rendez-vous avec son destin...

C'est d'abord une formidable galerie de personnages, dont Carné et Prévert usent pour enchaîner les scènes et les situations, plutôt que le contraire: un peintre qui va servir de coup de pouce au destin de Jean, sera incarné par Robert Le Vigan, avec son excentricité habituelle: les phrases étranges qu'il prononce pour justifier son art (qui ne sont d'ailleurs pas les meilleures qu'aura écrit Prévert, "je peins les choses qui sont derrière les choses", hum), seront reprises par Gabin avant la fin du film, parce que celui-ci aura repris l'identité du peintre, auto-sacrifié sur l'autel du romantisme... Zabel (Michel Simon), en revanche, sous des dehors de victime fragile de la bêtise, est en fait un vieux salopard de la pire espèce, qui se présente en tuteur de la jolie Nelly, mais attend en réalité son tour de la violer. Nelly (Michèle Morgan) est une jeune femme qui a déjà vécu, et qui semble à même de comprendre Jean et son aspiration à partir. Elle va partager une histoire d'amour avec lui, presque en marge du film. Lucien, le gangster en rodage (Pierre Brasseur), fait son caïd, mais il va recevoir plus d'une leçon de la part de Jean: ça va l'énerver... Sinon, il y a ceux qui font passer les choses, un camionneur sympathique mais chatouilleux (Marcel Pérez), un étrange cafetier-ermite (Edouard Delmont), et un poivrot (Aimos) aux ambitions inattendues: il souhaite plus que tout dormir dans des draps propres, et réalisera son rêve avant la fin du film... Et il y a aussi un chien, un chien qui arrive et qui repartira comme il est venu.

Et c'est aussi l'un de ces films Français sur lequel plane l'ombre gigantesque du cinéma Américain des années 1927-28, des grands films de Sternberg, Borzage, ou Murnau: Salvation hunters, Docks of New York (auquel il doit sans doute beaucoup, quand on y pense), Seventh Heaven, Sunrise... Carné les a vus et aimés, ils l'ont bouleversé. Et ça se sent dans une production qui en constance fait la part belle à l'image, ce qui n'est pas facile dans un pays où on est persuadé que c'est le dialogue qui fait tout! Et en plus le dialoguiste du film n'est pas n'importe qui... Pourtant je reste persuadé que ce Quai des brumes aurait fait un merveilleux film muet, avec la perfection de la mise en scène, la justesse de son interprétation, la science des regards, la composition, et les splendides mouvements de caméra.

On comprend pourquoi ce film est le préféré de Jean-Pierre Jeunet; il est d'abord la définition même de ce que faute d'autre genre on a appelé le réalisme poétique, une vision de la réalité, tournée dans de vrais décors (Le Hâvre), avec de vrais gens, mais en décalage constant avec la réalité. Quel conflit Jean fuit-il? Nous ne le saurons jamais, mais ce que nous savons c'est que son destin était d'arriver là, dans une ville qui aurait pu être accueillante, mais qui devient l'antichambre de la mort. Car Le Quai des brumes est sombre, et dépeint un monde sans espoir. Je disais plus haut que Michèle Morgan et Jean Gabin s'aiment en marge du film, car leur histoire, la seule chose qui aboutisse vraiment dans l'intrigue, est presque un incident à part. Bien sûr cette idylle charnelle ("T'as d'beaux yeux, tu sais" "embrassez-moi") est l'un des plus gros arguments de vente de ce film classique, mais Carné ne fait pas vraiment mystère du fait que tout ce qui se trame va vraiment se jouer entre hommes: entre Jean, qui s'improvise redresseur de torts le temps d'une baffe ou deux, Zabel dont le désir augmente lorsque l'objet de son obsession se retrouve dans les bras d'un homme, et Lucien, le minable qui va s'avérer, le con, devenir l'instrument du destin. Tout ici parle de la mort, du peintre qui dit peindre des noyés avant den devenir un, aux gangsters qui font tout pour supprimer ceux qui ne leur plaisent pas... 

La fin annonce un peu la noirceur plus marquée encore de Le jour se lève, futur chef d'oeuvre de Carné et Prévert: à Nelly qui pleure de le voir blessé, Jean envoie un "Embrasse-moi, vite, on est pressés" qui trahit ce dont on aurait du se douter depuis le début: Jean savait qu'il avait rendez-vous avec la mort.

 

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Published by François Massarelli - dans Marcel Carné