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Dans l'étrange et rugueux univers de Bruno Dumont, P'tit Quinquin avait tout pour surprendre: certes, il avait déjà filmé le Nord (au sens large puisqu'ici il s'agit du Pas-De-Calais) et ses habitants, privilégiant aussi souvent que possible et en fonction des besoins des non-acteurs, ou acteurs non professionnels pour être plus exact. Mais son cinéma se faisait globalement bien plus remarquer pour son naturalisme que pour d'autres ingrédients. Car ce film en quatre épisodes, ou cette série, choisissez la dénomination qui vous conviendra, est dans on intention une enquête policière burlesque...
Dans un petit village sur la Côte d'Opale, on trouve le cadavre d'une vache qui contient tout ou presque, mais en morceaux, du cadavre d'une femme, bientôt identifiée comme étant Mme Lebleu, fermière... Bientôt d'autres cadavres vont s'ajouter: un immigré d'Afrique centrale, M. Bihry, sera lui aussi trouvé dans un bovin; M. Lebleu, le mari éprouvé, sera découvert dans sa fosse à purin; le fils Bihry se tirera une balle dans la tête après avoir tenté un baroud d'honneur en forme de jihad sans grand conviction; la petite Aurélie, une adolescente qui avait une relation confuse avec ce dernier, sera retrouvée mangée par des cochons, et enfin on trouvera le corps d'une majorette, qui entretenait avec M. Lebleu des rapports d'affection, sur la plage, avec des attributs de sirène...
L'une des clés du mystère semble être la morale, puisque les deux premières victimes étaient amants et que toutes les suivantes ont un lien: le veuf, puis sa maîtresse, ou encore le fils d'une victime, puis une jeune femme qui a été tentée d'avoir une relation avec lui...
Mais arrêtons-nous, quelques instants: j'ai écrit, plus haut, "burlesque", et au vu de ce résumé d'une sombre affaire (qui ne sera d'ailleurs absolument pas élucidée dans le film!) qui implique des nombreux décès, tous plus sordides les uns que les autres (tiens, il me revient à l'esprit qu'à un moment, on a trouvé la tête de Mme Lebleu sur une bouse de vache...) on peut se demander ce qui justifierait un tel adjectif! C'est qu'en laissant les gens du cru s'exprimer à leur façon, en encourageant le recours aux idiotismes les plus farfelus, et en confiant l'enquête à deux policiers certes chevronnés, mais surtout fortement pittoresques, Dumont a fait pencher vers le loufoque et l'absurde cette sombre histoire de possession d'un village par un démon qui restera anonyme...
Car les deux gendarmes de Calais qui mènent l'enquête, le commandant Van Der Weyden (Bernard Pruvost) et l'inspecteur Carpentier (Philippe Jore) sont des limiers d'un genre nouveau: le premier, un quinquagénaire au corps gauche, au visage mobile (bardé de tics et de mouvements nerveux), a une diction qui semble avoir une vie propre et indépendante de sa volonté, avec comme il se doit un fort accent nordique et des considérations qui font appel à un bon sens, disons, gendarmistique (notamment ses vues sur le couple formé par une fermière locale et un travailleur immigré, nous rappelle l'influence des idées nauséabondes d'un parti néo-fasciste très implanté dans ces régions); le deuxième est dévoué au premier et le compète, en exprimant parfois de manière plus simple et plus directe, les mêmes considérations. Les deux forment un couple indissociable, uni dans ses dialogues qui reposent sur une solide base de phrases répétées jusqu'à l'absurde ("On est au coeur du mal, là, Carpentier" "c'est sûr, mon commandant")... Et l'intégralité de cette enquête semble vue du point de vue des enfants, de P'tit Quinquin (Alane Delhaye), le gamin d'une autre famille Lebleu, qui s'emmerderait ferme qu'il n'y avait les copains, le vélo, la plage et les bagarres, sans oublier la petite Eve (Lucy Caron), son amoureuse qui monte sur son vélo pour leurs équipées sauvages sur la cote. Leur point de vue de gamins qui souhaitent vivre leur vie tout en participant à une enquête qui les mobilise, débouche sur une vraie poésie, même si eux aussi sont rattrapés par la xénophobie ambiante...
On est parfois par terre, parfois pantois, parfois embarrassé aussi devant cette humanité (rappel ici d'un autre film de Dumont qui lui aussi montrait une enquête) qui ne cherche pas à s'embellir, et Dumont multiplie d'ailleurs les provocations de casting, privilégiant souvent des acteurs qui ont les plus grandes difficultés à parler ou se faire comprendre (le médecin légiste tient le pompon), et même des gens qui ont des difficultés motrices, pour les mettre en avant. la gêne que nous ressentons est-elle de notre fait ou un but délibéré du metteur en scène, je n'ai à ce stade pas de réponse. Et la donnée idéologique, cette trace de racisme dans les personnages, au vu des résultats d'élection, nous fait nous poser la question: le personnage est raciste, certes. Mais quelle part ces gens prennent-ils dans cette flambée xénophobe? Comme le dit le commandant de gendarmerie, on est au coeur du mal, et la morale, l'intolérance, le soupçon quant au voisin, et des comportements antédiluviens quant au moeurs sont ici mis en valeur, d'une façon qui pourrait bien être une nouvelle forme de naturalisme. Dont d'ailleurs, dans une pirouette, Dumont souligne les contours à travers un échange rigolo entre Carpentier et Van Der Weyden, qui commentent le fait qu'on ait trouvé des restes humains dans le corps d'une vache: "la bête humaine... c'est du Zola, mon commandant!" "On n'est pas là pour philosopher, Carpentier!"...
...Quant aux crimes, je vais vous dire ma façon de penser: c'est le cagoulard qui a fait le coup.
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