Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

29 décembre 2021 3 29 /12 /décembre /2021 09:58

Alors qu'une inondation menace aux environs du lac de St-Philbert de Grand-Lieu (situé dans ce qu'on appelait à l'époque la Loire-Inférieure), une voiture de gendarmerie amène dans une institution de redressement pour jeunes filles, une nouvelle pensionnaire: Maria est de l'Assistance Publique, et elle paie le prix de la liberté: placée auprès de vieux messieurs interlopes, d'institutions en pensionnats, elle a préféré rester à l'écart. Du coup, appréhendée au mauvais endroit au mauvais moment, elle a été étiquetée prostituée.

Pourtant il n'en est rien: Maria est amoureuse de Pierre, l'électricien, et raconte à qui veut l'entendre qu'il va venir la chercher. Alors quand il vient, forcément, ça étonne tout le monde.

Mais si Pierre entend bien profiter des conditions climatiques particulières (il pleut tout le temps) pour aider à l'évasion de sa bien-aimée, celle-ci ne sera pas facilitée par la nouvelle situation: car au moment où Maria arrive, la directrice conciliante du lieu a une crise cardiaque. Pour la remplacer, sa seconde qui n'attendait que ce moment est aussitôt nommée par l'administration... Et la seconde, Mme Chamblas (ou plutôt Mademoiselle, et c'est bien le drame de sa vie!), ce n'est pas du tout une rigolote...

Le film est superbement découpé, en trois parties: d'une part un premier tiers qui installe aussi bien le contexte, cette institution et sa directrice sadique, mais aussi la présence au-dehors de Pierre, le patient amant déterminé qui finit par prendre une dimension mythologique, voire Christique pour toutes les pensionnaires de l'institution. Une partie qui permet à Duvivier d'installer ses personnages, dont il faut bien dire que le principal ne fait pas le poids, interprété par Suzanne Cloutier, face à Reggiani (Pierre), Suzy Prim (Mme Chamblas) ou certaines des filles dont Liliane Maigné (la petite délurée qui traficotait dans l'ombre de Pierre Fresnay dans Le Corbeau, et elle a une sacrée personnalité). On y expose un contexte classique de film de prison: conflits d'autorité, punitions, excès de sadisme, révolte larvée, etc...

La deuxième partie voit se précipiter les choses, autour de la présence constante hors les murs de Pierre, et les tentatives d'évasion, pendant que Mme Chamblas multiplie les punitions qui sont autant de provocations. La troisième voit les murs de l'institution se lézarder, beaucoup plus à cause des excès de la direction que des exactions des pensionnaires! 

Au sujet de ces dernières, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'il y a une certaine tendance à l'exploitation pure et dure de la présence de ces jeunes femmes, dont certaines seront amenées à devenir célèbre (Juliette Gréco, pour commencer, même si elle n'a clairement pas tapé dans l'oeil du metteur en scène) dans cette institution de redressement. Comme dans les films pré-code, on a ici une fréquence d'habillages-déshabillages qui ont sans doute du participer au moins partiellement de la publicité du film! Mais ce genre d'ambiguité est hélas permanent avec le cinéma Français "adulte" de l'époque.

Mais cette tentation d'une certaine franchise (qui passe aussi par un langage peu châtié, dans des dialogues exceptionnels de Jeanson) est aussi d'une grande efficacité pour deux aspects qui sont clairement ce que cherchait Duvivier: le sordide, et la noirceur... Car le film prend souvent le chemin d'un réquisitoire, aidé dans cette tâche par la composition formidable de Suzy Prim. A méchante exceptionnelle, châtiment exceptionnel, elle aura droit à un traitement peu banal, qui ne sera vu qu'au travers des yeux éberlués de ses pensionnaires. Mais Duvivier réserve à tous ses acteurs des aventures physiques, et Reggiani et Suzanne Cloutier en ont aussi bien bavé lors du tournage de scènes, disons, humides, sur les lieux même de l'action: car à Grand-Lieu, quand l'eau monte, elle ne fait pas semblant! Et la confrontation au coeur du film entre Maria et Chamblas passe à nouveau par un déshabillage, mais Duvivier est au bord de nous décrire un viol, celui de la conscience et de l'innocence de la jeune femme, mais qui passe par une réalité sordide, choquante, et physique.

Reste la dimension religieuse du film, absolument indissociable: une fois de plus, Duvivier brouille les pistes en faisant du curé (un brave rugbyman aux chaussures cloutées) le fantasme numéro un de certaines pensionnaires ou en donnant un statut presque surnaturel aux apparitions de Pierre: et Maria, de son côté (notons le choix des prénoms, bien entendu), est presque touchée par la grâce, qui traverse toute la première partie du film en illuminée par l'amour. Pourtant eux aussi auront droit à un chemin de croix, et la liberté sera difficile à acquérir, au terme de ce film en forme de réquisitoire contre un système indigne... Un terme qui passe par un lyrisme des images, qui nous rappelle que Duvivier vient de la meilleure école du cinéma: le muet.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier