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29 décembre 2021 3 29 /12 /décembre /2021 08:44

A l'écart, aussi bien de sa production courante et des films de genres reconnus (Poil de carotte, Le mariage de mademoiselle Beulemans, Le tourbillon de Paris), que de ses films dits "religieux" (La tragédie de Lourdes, L'abbé Constantin, La vie miraculeuse de Thérèse Martin), cette Divine croisière a une histoire peu banale, et je ne parle pas de son intrigue... Celle-ci lui donne un pedigree de film fou, plus proche de Gance, Capra ou Borzage: bref, un film habité.

En Bretagne, un armateur qui fait la pluie et le beau temps sur une petite communauté de marins, est beaucoup trop exigeant avec ses hommes. ceux-ci lui reprochent de les envoyer à une mort certaine en affrétant, une fois de trop, le Cordillière, un bateau qui n'a plus la solidité requise pour affronter de longues courses en mer. Ferjac (Henry Krauss) n'en démord pas et pèse de tout son poids: la mort dans l'âme, les hommes partent, mais certains ont accumulé trop de rancoeur, et se mutinent. Une première victime est le marin Kerjean, qui est passé par-dessus bord. Aux premières loges, leur capitaine Jacques de St-Ermond (Jean Murat), qui était pourtant leur porte-parole durant le conflit syndical, et qui est amoureux de Simone (Suzanne Christy), la fille de Ferjac...

Pendant la mutinerie, à terre, on attend avec inquiétude des nouvelles du voilier et de ses marins; Simone doit célébrer ses fiançailles à un riche ami de son père, contre son gré évidemment. Mais la population du village fait irruption pendant le dîner: on a retrouvé le corps de Kerjean...

Le film a été tourné à l'automne 1928, et monté par Duvivier qui devait partir tourner deux autres films, La vie miraculeuse de Thérèse Martin, puis Maman Colibri. C'est durant le tournage de ce dernier film qu'il a appris qu'après une première désastreuse, La Divine Croisière allait être coupé sans conditions, et réduit à une cinquantaine de minutes. En cause, sans doute, une trop grande disparité entre un thème mélodramatique d'obédience religieuse (une femme qui refuse de croire à la disparition en mer de celui qu'elle aime, réussit à convaincre un village entier de la soutenir et d'affréter un bateau pour sillonner les mers à la recherche du voilier disparu) et un conflit entre marins et patrons, qui était trop ambigu pour les commanditaires... Et si aujourd'hui on dispose d'une version sans doute à peu près intégrale (une copie Hollandaise de la version complète a survécu en une réduction 17,5mm de l'original, déposée au Eye institute d'Amsterdam, en plus de nombreuses versions incomplètes en 35 mm), il est difficile de comprendre réellement pourquoi le film a tant gêné, si ce n'est pas sa ferveur et sa relative absurdité... 

Pour bien comprendre l'emploi de ce mot, disons que le film n'est jamais totalement rationnel, ni totalement mystique: Simone, persuadée d'avoir perdu Jacques, se jette à corps perdu dans une oeuvre artistique, en restaurant pour le curé de la Paroisse une peinture qui orne l'église, de Notre-dame de la mer: celle-ci semble s'animer, et lui révèle que les marins du bateau perdu ne sont pas morts... Est-ce une hallucination ou une apparition, nous ne le saurons évidemment pas... Reste que l'ombre de Borzage (Street angel et son tableau miraculeux) et de ses films déraisonnables passe sur cette Divine Croisière! Sinon, l'irruption des gens du village durant le dîner de fiançailles, le conflit entre les gens du peuple et les bourgeois, résolu à la fin par un petit bout de bonne femme qui a un sacré tempérament, aidée d'un curé ouvrier débonnaire, me rappellent furieusement Metropolis... Duvivier a su, par un montage serré et une mise en scène dynamique, qui utilise aussi bien des mouvements très précis d'appareil, une interprétation forte (Henry Krauss est fantastique, à propos), que des traces de son et des gros plans fantastiques, retrouver les accents d'urgence de la scène de l'inondation dans cette partie du film; et la façon dont il mêle les gros plans et le montage rapide n'est pas éloignée... des Soviétiques!

Autant de références qui rendent le film constamment intéressant, mais aussi malaisé à appréhender, mais il n'est finalement pas que la somme de bondieuseries embarrassantes dont on parle généralement pour le décrire. Certes, le miracle (ou une série de coïncidences toutes plus improbables les unes que les autres) y joue un rôle non négligeable, mais ça reste un miracle de cinéma, du début à la fin...

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Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier 1928 Muet **