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27 décembre 2021 1 27 /12 /décembre /2021 19:03

Un homme arrive dans les Alpes, où il vient retrouver une femme, qui s'est mystérieusement installée à Tignes, où elle passe un hiver très rigoureux... C'est son épouse, la cantatrice Amiscia Négeste (Lil Dagover), que Lord Absenston (Gaston Jacquet), venu d'Ecosse, tente de ramener avec lui. Entre eux, de l'amour, bien sûr, ce sera toujours indiscutable. Mais surtout, une ombre, celle du théâtre: car quand il l'a demandée en mariage, Lord Absenton a été clair: finie la carrière, désormais elle serait toute à lui... 

Amoureuse, Amiscia renonce donc à sa retraite, et accepte de suivre son mari. Ils font, malgré tout, une halte à Paris, où plus que jamais, le "tourbillon" va reprendre Amiscia. Un tourbillon de soirées, mais bien vite aussi de théâtre et de musique, entretenu par un ami fidèle, Jean Chaluste (Léon Bary): lui aussi avait été jusqu'à Tignes, pour y retrouver son amie, et il s'était incliné devant le mari. Mais pour combien de temps?

En dépit de la présence de cet autre homme (et d'autres, dont René Lefebvre en criticaillon manipulateur et revanchard), le film ne nous conte jamais l'adultère. Finalement, le triangle qui nous est présenté est surtout celui représenté par Amiscia, son Lord et le "tourbillon" de la vie Parisienne, le théâtre, oui, mais pas que: comme une sorte d'éternelle jeunesse, à laquelle Amiscia ne parviendrait pas à s'extraire. Car on n'essaie pas de nous vendre, ici, comme dans Rigolboche de Christian-Jacque, où Mistinguett sexagénaire campait une artiste qui avait 30 de moins, une vague idée qu'Amiscia soit une jeune et fringante chanteuse. Lil Dagover, après tout, avait 41 ans au moment de la sortie du film, et si elle n'a pas besoin de maquillage, elle fait augustement son âge. Du coup, la présence de Chaluste d'un côté (sans aucun doute plus jeune qu'elle, certainement plus jeune que son mari!) et de Lord Asbeston de l'autre, tendrait à illustrer un drame du renoncement: non seulement au théâtre, mais aussi à la vie mondaine, et du même coup à la jeunesse... Une scène du prologue, qui nous montre la rencontre malgré eux des deux hommes, dans les Alpes, autour d'un âtre, tendrait à confirmer cette lecture.

Rien ne l'illustre mieux qu'une scène, extraordinaire, de représentation: en effet, l'angoisse de la chanteuse, éveillée par des entrefilets moqueurs et assassins (sur son âge, notamment, et sur l'éternel retour des artistes), est attisée dans les coulisses par la rumeur d'une impréparation sévère de l'artiste. Les deux premiers actes se passent mal, et le troisième commence par un désastre; Lil Dagover y est magnifique, et Duvivier qui utilise toutes les ressources de la mise en scène pour transcrire les émotions qui s'emparent de son personnage, y est absolument génial, réussissant dans une scène de cinq minutes absolument tout ce qua seulement tenté de faire ce pauvre Marcel L'Herbier durant toute sa production muette: utiliser le cinéma et le cinéma seul pour véhiculer une émotion... Tout le film, qui aurait pu n'être qu'un mélodrame de plus ou de moins, est en fait illuminé par ces deux atouts: Dagover et Duvivier. Jamais à ma connaissance l'actrice n'avait été aussi juste, et le metteur en scène a trouvé en toutes circonstances des moyens novateurs de soutenir cette puissante interprétation, et de la compléter.

Et une fois de plus, on remarquera chez Duvivier l'importance figurée du son. Cet inconnu (et pour cause) du cinéma muet a toujours une place chez lui, comme je le faisais remarquer à propos des accents absents de Mademoiselle Beulemans, mais présents quand même à travers les prises de vue de la vie Bruxelloises, des tavernes pleines de monde, et des trognes qui articulaient si bien qu'on pouvait lire l'accent Belge sur leurs lèvres! Eh bien ici, il continue à utiliser le son sans y avoir accès, en nous montrant la musique et le chant durant une danse, qui fait un bon usage des surimpressions et des intertitres, et bien sûr dans cette scène de désastre au théâtre, le chaos sonore a un rôle primordial...

Bref: c'est un chef d'oeuvre, qu'une vision inconfortable d'une version incomplète (Chaluste y était à peine visible, donnant l'impression d'être soit un espion, soit une allégorie!) m'avait il y a quelques années fait écrire que le film était "morne... adapté d'un succès de librairie, le films enfile les poncifs les uns après les autres, sans laisser les acteurs, à une exception près, faire leur boulot"... Je n'avais pas tout faux, puisque la prestation que je sauvais est celle de Lil Dagover! Mais pour le reste, cette erreur de débutant montre bien qu'il est important de voir les films dans les meilleures conditions possibles. Profitons-en donc pour saluer l'édition par Lobster d'un ensemble de neuf films du metteur en scène, dans de superbes copies...

 

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Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier 1928 Muet **