Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

16 janvier 2022 7 16 /01 /janvier /2022 17:30

Alfred Boulard (Maurice Chevalier) est électricien, mais ça n'empêche personne de pousser la chansonnette. Un jour, avec sa petite amie Suzanne (Josette Day), ils se décident à se rendre à une audition, où l'aspirant chanteur fait une très belle prestation... devant des chaises vides. Tant pis... mais alors qu'il fait son travail d'électricien, dans un hôpital, on a besoin d'une transfusion en express, et il est donneur universel. La malade est une actrice connue internationalement, Mona Thalia (Elvire Popesco). Non seulement la nouvelle fait le tour de Paris, mais en prime, Mona décide de pousser la carrière d'Alfred, sous deux conditions: d'une part, il doit faire de la tragédie; et d'autre part, il doit, alors qu'ils sont en week-end dans le spacieux château de la vedette à La Baule, la rejoindre dans sa chambre...

Une comédie chez Duvivier? Et pourquoi pas, après tout? Pour Hitchcock, c'était pareil: dès qu'on a prononcé le nom du cinéaste, on parle de suspense. Les béotiens parlent même d'horreur... Non, avec Duvivier, c'est le romantisme foncièrement pessimiste de son oeuvre qui est systématiquement mis en avant, et on pense à Panique, à La belle équipe... C'était pourtant un metteur en scène très versatile, qui a toujours gardé une part de comédie dans de nombreux films qui n'en sont pas: son Poil de Carotte de 1925, ou encore La fin du jour, Pot-Bouille et même La chambre ardente, l'un de ses derniers films, possèdent tous de nombreux et merveilleux moments d'humour plus que volontaire. Et que penser du Mariage de Mademoiselle Beulemans, de Allo Berlin, ici Paris, des deux Don Camillo, de La fête à Henriette, de L'homme à l'imperméable ou du Diable et les dix commandements? Autant de films qui sont tous différents, mais certains d'entre eux sont totalement des films de l'auteur Duvivier... L'homme du jour n'est pas en reste, qui s'inscrit dans la continuité de la thématique abordée par le réalisateur dans son film immédiatement précédent, rien moins que La belle équipe!

Alfred Boulard, le chansonnier qui ne percera décidément jamais, c'est un type du peuple, un homme qui avant la célébrité soudaine, factice et embarrassante dont il va disposer, est heureux en amour, copain avec ses colocataires de la petite pension de famille où il vit, et a un travail qui lui laisse le temps de rêver. La tempête médiatique (comme on ne disait encore pas à l'époque) qu'il traverse va tout lui enlever, et il sera tout seul... L'image de la solidarité populaire en prend un coup, et les braves gens dans le film sont tous des égoïstes superficiels... Le monde du spectacle en prend un coup aussi: Elvire Popesco n'avait pas grand chose à faire pour être profondément irritante, elle y parvient admirablement ici, en vedette de pacotille qui n'a pas son pareil pour tirer en permanence la couverture à elle-même; son agent, qui essaie de sponsoriser Suzanne dans l'espoir de coucher avec elle, n'est pas mieux, mais les artistes vus et entendus ne sont pas tristes non plus: un chanteur interprété par Raymond Aimos dans l'audition est une caricature infâme d'un chanteur réaliste, et Suzanne quant à elle est absolument atroce. Josette Day, qui a rarement été aussi bien dirigée (elle a tourné pour Pagnol, ceci explique donc cela) s'en donne à coeur joie!

La comédie est franche et bien enlevée, sans le côté foutraque des derniers tiers des films de René Clair, par exemple: ici, Duvivier tient le cap, et avec des dialogues formidables de Spaak et Vildrac, s'amuse comme un fou. Alfred ira loin, jusqu'à se faire arrêter suite à une bagarre de rue: celle-ci est un peu poussive, mais la scène qui suit, dans un commissariat, est un sommet d'humour à tous niveaux: gags visuels, rythme, dialogues, et loufoquerie ambiante... Alfred va également, dans une scène fortement amusante, dialoguer avec Maurice Chevalier lui-même, un exercice périlleux, et ça passe comme une lettre à la poste. Quelques chansons sont chantées (dont deux classiques, Prosper et Y'a d'la joie, excusez du peu), mais toujours en situation, ce n'est pas une "vraie" comédie musicale... et c'est une constante surprise, un film qui mérite d'être évalué à égalité avec d'autres grands films du metteur en scène dans les années 30.

Maintenant, le film n'a pas de fin tragique du tout, mais pour une morale de conte de fées, on repassera: les acteurs riches resteront des acteurs riches, les électriciens des électriciens, et les vendeuses de fleurs esseulées resteront, désespérément, des vendeuses de fleurs esseulées...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier Comédie