/image%2F0994617%2F20220227%2Fob_71d25b_131b9de-501309680-01.jpg)
Entre la rencontre en 1978 du jeune Maurizio Gucci (Adam Driver) et de Patrizia Reggiani (Lady Gaga) et l'assassinat par l'un des deux de l'autre en 1995, nous assistons à presque trente années d'amour, de haines, de trahisons, de montée en puissance et de dégringolades et illusions, dans la famille Gucci: les deux déjà mentionnés, rapidement mariés à l'écart de la famille avant de revenir par la grande porte, les deux frères héritiers de la maison, le père de Maurizio Rodolfo (Jeremy Irons) et Aldo (Al Pacino), et bien sûr Paolo (Jared Leto, absolument méconnaissable), le fils d'Aldo auquel ce dernier choisira plutôt Maurizio pour partenaire...
Le tout est largement vu du point de vue de l'outsider: Patrizia, celle par qui le renouveau arrive dans la maison Gucci, est au départ le pire casting imaginable pour Rodolfo, puisqu'elle vient du peuple: son père est un entrepreneur, mais à l'autre bout de l'échelle, et elle ne peut être selon lui qu'une chasseuse de fortune... C'est donc avec les yeux de Patrizia, que nous allons découvrir le reste de la famille. Mais nous verrons aussi, comme eux du reste, que Patrizia n'est pas un modèle de sophistication, d'où des scènes souvent cruelles, qui la montrent ignorante, naïve et à la limite de l'analphabétisme...
Ce serait faux de dire qu'elle est le vilain petit canard dans la famille, dans la mesure où il n'y a pas un Gucci pour rattraper l'autre: là où Patrizia et Paolo se distinguent par leur ignorance, leur populisme ou leur mauvais goût proverbial (Paolo se le verra signifier dans une scène tout à fait cruelle aussi par Rodolfo qui soulignera sa médiocrité), les trois autres Gucci se signalent par leur froideur émotionnelle, leur obsession du nom Gucci, voire leur méchanceté...
Ridley Scott, fasciné par les jeux de pouvoir (Gladiator, Kingdom of heaven, American Gangster, Robin Hood, Prometheus, Exodus, The Counselor, All the money in the world, The Last Duel... Faut-il insister?) trouve ici le prétexte d'un jeu de massacre bien dans sa manière, qu'il tourne aussi souvent que possible en dérision, une dérision grinçante qui a attiré beaucoup de critiques: c'est vrai que la cruauté de ce qui nous est montré est d'autant plus méchante que comme d'habitude il a tout fait pour recréer l'époque, les lieux, les petites manies des uns et des autres. Mais la cible du metteur en scène est de réaliser un opéra à partir de la famille Gucci, assez proche en soi de ce que Coppola a fait avec ses Corleone. Scott oppose à la vision de la mafia un portrait d'une organisation qui se déchire dans la légalité, mais on verra que la mesquinerie et la trahison, même légales, mènent aussi à la mort ici...
Alors, oui, c'est rude, et il est difficile d'aimer les personnages, de choisir entre les ambiguités des uns et des autres: quand Aldo favorise son neveu sur son fils, ne le fait-il pas un peu par affection? Patrizia s'est faite toute seule, et elle va beaucoup apporter à Maurizio... Ce dernier, un grand naïf pas plus intéressé que ça au départ par les millions de sa famille, est foncièrement sympathique pendant au moins un bon tiers du film, et le fait de favoriser le point de vue de Patrizia en fait parfois une victime. - à nos yeux du moins, mais ce serait quand même un peu trompeur. Le jeu est souvent opératique, et Scott n'a pas engagé Al Pacino, Lady gaga et surtout Jared Leto pour faire dans le subtil. Salma Hayek non plus!
Alors? Alors une fois de plus, Ridley Scott examine le pouvoir de l'argent sur les hommes, l'héritage grippé et rouillé d'un système qui va à la fois se désagréger, et se perpétrer sous nos yeux. Il jongle avec les thèmes du pouvoir, de l'ambition, de la trahison, et le fait sous le vernis rigolard d'un film dans lequel une coiffure choucroute, des mocassins avec une feuille d'or, ou des lunettes que même François Léotard n'oserait pas porter aujourd'hui, sont le comble de la sophistication. Il sonde notre inconscient collectif en exposant les travers de l'humain dans une période que nous avons vécue, et qu'il n'a modifiée comme d'habitude que pour la rendre un peu plus pratique à l'usage...
Car le film n'est pas sans défauts: on sait que le metteur en scène est friand d'une certaine forme de pédagogie, encourageant ses scénaristes à utiliser aussi souvent que possible les dialogues pour véhiculer une aide aux spectateurs... ce qui est intéressant devant un film situé au Moyen Age, par exemple, où les balises fournies par le dialogue nous aideront à nous situer. Même chose avec un film d'anticipation... Mais pour un film comme celui-ci, cette petite manie tourne à la redondance pure et simple, et alourdit le tout. Je sais par ailleurs avoir été élevé aux films Américains des années trente, qui ne faisaient aucun effort pour cacher l'accent Américain des acteurs, quand ils interprétaient un Anglais, un Irlandais, voire un Berrichon... Mais de même que j'ai la plus grande irritation quand les acteurs d'un film situé en Allemagne prennent l'accent "Nous afons les moyens de fous faire parler", ici les accents Italiens de tous ces gens qui parlent en Anglais (un Anglais sensé traduire des situations qui dans la vraie vie étaient en Italien, si vous me suivez) est assez horripilant... Ou participe de la caricature aussi. Notons pour finir sur ce chapitre que si Coppola faisait parler ses protagonistes avec un accent similaire, c'est aussi et surtout parce que cette fois c'était authentique, l'accent en question étant justement Italo-Américain. Certaines scènes vont tellement loin dans la caricature qu'elles sont un peu gênantes, Lady Gaga et Salma Hayek rencontrant deux tueurs, par exemple, m'ont fait un peu penser à JFK d'Oliver Stone, Lady Gaga jouant dans cette scène avec la même intensité que Joe Pesci dans sa grande scène de paranoïa!
Voilà, en tenant compte de ces réserves, et en admettant que le film n'est pas à la hauteur de celui qui l'a précédé, House of Gucci, exploration de la proverbiale puissance et dégringolade d'une famille et fable sur la roue de la splendeur qui tourne en même temps que le siècle, est une intéressante addition à l'univers d'un cinéaste passionnant, même s'il l'est aussi... pour ses défauts.
/image%2F0994617%2F20220227%2Fob_c2e1c3_house-of-gucci.jpg)
/image%2F0994617%2F20220227%2Fob_988709_house-of-gucci-la-famille-gucci-est-tr.jpg)
/image%2F0994617%2F20220227%2Fob_a2bd01_house-of-gucci-photo-mgm-7.jpg)
/image%2F0994617%2F20220227%2Fob_7e0923_php5phdep.jpg)