Dans un cirque, Jacques
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Tati, Monsieur Loyal et clown occasionnel, présente un spectacle qui se veut démocratique: d'un côté, le public peut participer, et de l'autre les artistes sont parfois supplantés par des curieux qui ont plus de talent...
Etrange sortie de piste pour Jacques Tati. On jurerait que ce film est fait de bouts de ficelles, tournés au hasard des occasions, et assemblés afin de permettre la sortie artificielle d'un sixième long métrage du maître: ça ne sonne pas très charitable, mais il est effectivement dur d'entrer dans un film qui affiche aussi ostensiblement son côté patchwork... Et pas de Hulot à l'horizon: je suis d'accord avec Stéphane Goudet, le spécialiste de Tati, quand il dit que tout, dans l'oeuvre du metteur en scène / acteur, concourt à désintégrer le héros Hulot, au point de l'avoir littéralement perdu dans un champ envahi de voitures anonymes à la fin de Trafic. Et ici, même si Tati remplace Hulot et occupe sa part d'espace en montreur de cirque, et même s'il profite de l'occasion pour y interpréter ses sketches de pantomime qui l'avaient révélé en 1935, il disparaît souvent des plans qui le montrent, et sort du film sur un énième relais, après avoir symboliquement donné une étoile couverte de paillettes à une jeune chanteuse/danseuse, et laisse des enfants s'approprier la scène vide comme pour laisser place aux jeunes...
Mais ce type de fin, il la pratique aussi depuis Les vacances de M. Hulot, quand il s'éternise sur le lieu de villégiature (St-Marc Sur Mer, 44) après que les vacanciers l'aient déserté, et il a systématiquement procédé à des conclusions similaires dans les trois longs métrages de fiction qui ont suivi. Cette fois, pourtant, Tati n'est que Tati si on peut dire, et il n'est qu'un participant, avec ses talents (la pantomime, intacte 40 ans après) et ses défauts (pourquoi danse-t-il en faisant semblant de chanter, c'est un moment très embarrassant, et je ne sais pas si c'est du second degré...). Son propos, dans ce film qui commence par montrer que le public joue aussi (de jeunes membres du public se coiffent de balises de chantier avant d'entrer dans le cirque), c'est d'abolir les barrières entre public et artistes, de montrer que le public peut remplacer les artistes, et de proposer une vision tellement fausse du public (des photos de gens sont ostensiblement placées sur les gradins) qu'on en profite aussi pour redéfinir le vrai et le faux...
C'est donc ambitieux, c'est aussi mal foutu: le grain de la vidéo est absolument atroce et se marie mal avec le grain de la pellicule: des séquences ont été tournées en France en, d'autres en Suède en 1971, et le plus gros du tournage était en vidéo légère dans un cirque-théâtre à Stockholm. Le son est comme d'habitude, pas vraiment synchronisé, ce qui devient carrément embarrassant quand on présente la chanteuse Pia Colombo, qui a l'air de réaliser un play-back sur une autre chanson que celle qu'on entend.
La qualité des numéros présents est inégale aussi, on se souviendra longtemps du numéro des Vétérans, un groupe d'acrobates-musiciens-clowns, mais ils viennent faire des variations des mêmes cascades à quatre reprises... Un numéro musical hilarant est bien trop court. Une intervention d'un clown qui prétend être illusionniste est menée admirablement à sa logique... Hélas, signe des temps, un groupe de rock hirsute joue un titre de sa composition, très 1972, durant ce qui ressemble à une éternité, et en prime Tati, qui avait manifestement planifié de longue date cette présence envahissante de ce qu'on appelait à l'époque de la musique pop, a filmé trois groupes différents dans trois lieux différents (avec des guitares différentes) et ça se voit... Mais le film accumule aussi les gags subtils purement visuels, parfois tellement délicats qu'on ne les verra pas, et aussi des non sequiturs, des étranges passages sans fin, qui nous feraient presque penser à une autre expérience burlesque contemporaine du film, télévisuelle celle là, autour d'un autre cirque, mais volant.
Voilà, c'est le chant du cygne involontaire d'un artiste exigeant, curieux de tout, et qui avait prévu de rebondir, filmant par ailleurs un ajout à ses Vacances de M. Hulot en hommage à Jaws de Spielberg, en 1978; en 1978 également, il tournait Forza Bastia, un court métrage de commande à la gloire du club de football de Bastia, qui allait rester dans les tiroirs pendant 22 années avant que Sophie Tatischeff e le monte et ne le montre... Tati qui voulait continuer à remonter ses films ad vitam aeternam, souhaitait à la fin de sa vie mener un dernier projet, intitulé Confusion, dans lequel tout aurait été mélangé, réalité et mensonge, personnage et acteur, public et artistes. En l'absence de ce curieux film qui ne se fera jamais, contentons-nous déjà de cette intrigante Parade...
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